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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 octobre [1845], mardi matin, 9 h.

Bonjour, mon bon petit Toto chéri, bonjour, mon cher bien-aimé adoré, bonjour, bonjour, je suis heureuse, je t’aime et je vais te voir tout à l’heure, à la bonne heure. Aujourd’hui je vois clair dans mon cœur. Ce n’est pas comme hier où tout était couvert d’un affreux brouillard noir. Grâce à vous, mon cher petit soleil, je suis gaie et heureuse ce matin.
Comment vas-tu, mon Victor adoré, as-tu bien dormi ? Plaisanterie à part, tes puces doivent te gêner et t’agacer horriblement. Tu aurais dû peut-être insister auprès de la femme de ménage pour qu’elle fasse son service un peu plus consciencieusement. Cela tient tout bonnement à la malpropreté et au manque d’air. Si j’étais là, moi, je les aurais bien vite fait déguerpir, quand je devrais passer la nuit à les exterminer. Veux-tu m’emmener ce soir, je te rendrai ce bon office ? Mais vous ne le voudrez pas, mon cher petit cochon, vous aimez mieux ne pas dormir de la nuit avec vos puces que de coucher avec moi une nuit. Taisez-vous, puisque c’est vrai. Je vous conseille dorénavant de parler des Bretons. Cela vous sied bien. Un jour j’écrirai MES MÉMOIRES et je dirai tout ce que je sais de vous. Ce sera de CURIEUSES RÉVÉLATIONS. En attendant, je vous laisse manger aux puces comme un caniche abandonné et je ris dans ma peau. Baisez-moi et venez bien vite......a Te voici justement. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 21-22
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) Six points terminent la ligne précédente et commencent la suivante.


7 octobre [1845], mardi après-midi, 3 h. ¾

J’ai le cœur plein d’amour et de bonheur, mon adoré. Je t’ai vu ce matin, je te verrai encore ce soir, cela suffit pour dorer ma journée d’un rayon de joie. Hier j’étais la plus grimaude et la plus malheureuse des femmes. Aujourd’hui j’en suis la plus joyeuse et la plus heureuse. Les Juju se suivent et ne se ressemblent pas, comme tu vois.
Tu étais bien pressé, mon adoré, et je n’ai même pas pris le temps de te demander où tu allais pour ne pas te retarder, mais ma curiosité n’y perdra rien ce soir, car je veux tout savoir. Voime, voime, M. Toto ne sait pas mentir. C’est le MINET. Enfin je le demanderai toujours, quitte à ne rien savoir du tout.
Jour, mon cher petit Toto, j’ai réfléchi à ce projet que tu avais ébauché dans ta chère petite caboche et je ne le trouve pas réalisable en rien du tout pour ce qui me concerne personnellement. Certainement rien ne me serait plus doux que d’avoir la petite maison [1] telle que nous l’avions retrouvée, c’est-à-dire à l’état de châsse dans laquelle tous nos souvenirs d’amour de ce temps-là sont à l’état de reliques. Si j’avais six mille francs à moi, je n’hésiterais pas, je ne marchanderais même pas. Mais sacrifier tous les autres souvenirs à celui-là ne serait pas plus raisonnable que de donner vingt-cinq francs d’argent pour [illis.] napoléons d’or. Et puis ce serait rétrécir encore le pauvre petit cercle de bonheur dans lequel mon amour est si à l’étroit que souvent il me semble qu’il va se briser violemment. Et puis ce serait me séparer de ma fille qui a plus que jamais besoin de moi, car, tu l’as dit toi-même, c’est l’âge le plus dangereux puisque c’est celui où on sent le besoin d’aimer. Sans parler de toutes sortes de convenances impossibles à braver et devant lesquelles tu reculerais le premier en y pensant mieux. Oh ! si ce projet avait dû m’offrir la chance de te voir plus souvent, de vivre plus intimement avec toi que je ne le fais depuis trop longtemps, j’y aurais accédéa de tout mon cœur et j’aurais vendu ma dernière chemise pour cela, tu en es bien sûr, n’est-ce pas, mon adoré ? car tu sais comme je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16361, f. 23-24
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « accéder ».

Notes

[1Après leur pèlerinage à la maison des Metz le 26 septembre 1845, Victor Hugo proposa à Juliette Drouet d’acheter cette maison où elle séjourna plusieurs semaines en 1834 et 1835. Mais elle refusa et le projet n’aboutit jamais.

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