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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 septembre [1845], jeudi après-midi, 2 h. ½

Je suis bien en retard avec vous, mon petit homme chéri, et il n’a fallu rien moins que la solennité d’hier pour me faire manquer à ma douce habitude quotidienne. J’ai beau être occupée et même préoccupéea, je sais qu’il manque quelque chose d’essentiel à ma vie quand je ne t’ai pas fait mes deux petits gribouillis dans la journée. Je suis comme les gens qui cherchent leur tabatière. Moi, c’est le besoin de mettre sur un morceau de papier le trop-plein de mon cœur qui fait que je suis mal à mon aise quand je ne me suis pas épanchée.
Cher bien-aimé, te voilà parti encore pour longtemps [1]. C’est triste. On dirait que le diable s’en mêle. Maintenant c’est un marquis [2] qui vient se jeter à travers mon bonheur. Demain ce sera un autre chien coiffé et toujours comme cela jusqu’à extinction de la pauvre Juju. Si j’osais, je me mettrais en fureur, mais je ne l’ose pas parce que tu viens d’être si bon, si doux, si ravissant et si adorable tout à l’heure que ce ne serait pas juste de l’oublier tout de suite pour ne songer qu’à la vilaine absence qui me pend au bout du nez.
Mon cher petit homme chéri, je fais faire un calque de ton dessin par Claire afin de pouvoir garder l’original si je peux. Quand il sera fini, nous irons chez Génevois savoir combien il prend pour dessiner tes armoiries sur le canevas. De là, nous passerons peut-être chez Mme Triger pour lui demander quelques couverts pour dimanche et puis nous reviendrons dîner chez nous. Ce sera une petite promenade que nous aurons faite aujourd’hui en même temps qu’une chose utile. Je ne t’en ai pas parlé tout à l’heure parce que le projet ne m’en étais pas encore venu, mais je suis sûre que tu n’en seras pas contrarié, c’est ce qui fait que je me risque. Je t’écris toutes ces choses afin que tu saches où je suis et pourquoi je suis sortie, si par hasard tu revenais à la maison tantôt.
Mon Toto bien aimé, j’espère que tu n’oublies pas le bonheur que tu m’as promis ? J’y compte plus que je ne peux dire et je serais bien malheureuse si tu me manquais de parole. Vois-tu, mon adoré, je crois que je ferais plutôt le pèlerinage seule et à pied par n’importe quel temps que d’ajourner plus longtemps ma visite aux Metz [3]. Ce n’est pas seulement au point de vue du plaisir que je désire ardemment faire cette partie, c’est quelque chose de pieux et d’attractif qui m’y attireb et dont je ne suis plus maîtresse. Aussi tu m’y mèneras, n’est-ce pas mon adoré ? Je compte sur ta bonne petite promesse et je m’en réjouis d’avance. Merci Toto. Jour, Toto, jour, mon petit Toto, Juju t’adore.

BnF, Mss, NAF 16360, f. 294-295
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « préocupée ».
b) « qui m’y attirent ».


18 septembre [1845], jeudi soir, 8 h.

C’est bien triste à penser que je ne te verrai pas avant demain, mon cher amour adoré. Je voudrais pouvoir dormir tout ce temps-là pour avoir moins d’ennui et moins d’impatience jusqu’au moment où tu reviendras. Tu m’as bien promis de revenir demain dans la matinée. Nous verrons si tu tiendras ta promesse. Mon Victor bien aimé, mon amant, mon bonheur, je t’aime. Tu m’as rendue bien heureuse en me dessinant tes armoiries. Ma grande fillette en a pris le calque et nous sommes allées tantôt bras dessus, bras dessous, le porter chez le célèbre Génevois. Malheureusement il n’était pas chez lui et ne sera de retour que mardi ou mercredi prochain. De là, nous sommes revenues par chez Mme Triger à laquelle j’ai empruntéa quatre couverts pour dimanche, puis nous sommes rentrées chez nous qu’il faisait encore grand jour. Demain, si le temps et toi le permettez, nous irons voir Charlotte, c’est-à-dire chercher le parapluie de Claire et différents objets à son usage. Jusqu’à présent, je ne vois pas que ta médaille puisse nous servir beaucoup parce que les renseignements nous manquent pour cela. Ce sera pour plus tard. Ce qui ne sera pas pour plus tard, je l’espère, ce sont les deux bonnes petites culottes que tu nous as promises. J’y compte bien, mon Toto, et tu sais que tu t’y es engagé de bonne foi. Il faut donc que, dès à présent, tu te réservesb deux jours de la semaine prochaine pour nous les consacrer à ma péronnelle et à moi. Ne l’oublie pas, mon Victor adoré, sous peine de me faire un chagrin véritable. Et puis aime-moi un peu pour tout ce que je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 296-297
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « j’ai emprunté ».
b) « tu te réserve ».

Notes

[1Victor Hugo quitte Paris ce jeudi 18 septembre. Il rentre le vendredi 19 dans la nuit ou le samedi 20 au matin.

[2Ce « marquis » est-il la réelle raison du déplacement de Victor Hugo ?

[3En septembre 1834 et 1835, alors que Victor Hugo séjourne chez les Bertin avec sa famille aux Roches, Juliette est installée dans une petite maison aux Metz, près des Roches, dans la vallée de la Bièvre. Les deux amants y feront un pèlerinage d’une journée le 26 septembre 1845.

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