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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 août [1845], lundi matin, 7 h. ¾

Bonjour, mon petit homme chéri, bonjour, mon pauvre petit souffrant, comment vas-tu ce matin ? Tu n’es pas revenu hier au soir et tu as bien fait si c’est par prudence. Mais si c’est pour rester avec plus ou moins de paillarDES de tous les pays, je ne serai pas contente et je vous ficherai des coups. Nous vous avons attendu, Claire et moi, jusqu’à onze [heures] et demiea. Je l’ai envoyéeb coucher parce qu’il fallait qu’elle fût levée de bonne heure. Elle est partie ce matin à 7 h. En voilà pour quinze jours. Si tu le permets, j’irai la voir une fois dans l’intervalle. Elle m’a bien priée de te prier de lui donner ce petit bonheur d’ici à quinze jours. Elle ne prendra ses vacances que dans les quinze derniers jours du mois de septembre.
Cher petit homme, je vous dis toutes ces choses-là pour remplir ma feuille de papier. Je crains de vous ennuyer en vous disant toujours la même chose. L’amour sans imagination tient dans ces deux mots : je t’aime. Moi je trouve très doux de passer ma vie à le dire, mais je doute que tu trouves du plaisir à les lire et à les entendre à satiété. Aussi je les espace de loin en loin en ayant soin de mettre entre eux tout ce que je peux trouver autour de moi. Malheureusement ma vie est assez uniforme et je n’y trouve pas même de quoi suppléerc à la stérilité de mon esprit. Je suis forcée d’en revenir toujours à mes deux uniques moutons : JE T’AIME. Faute de pain, on mange des brioches, comme vous savez. Eh bien ! à défaut d’esprit, je vous donne mon cœur. La plus vieille fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a [1], vous savez encore cela. Baisez-moi, cher petit homme, et tâchez de ne pas souffrir aujourd’hui et de venir de bonne heure. Vous me rendrez bien heureuse. Mon Toto, je te baise. Mon Toto, je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 164-165
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « et demi ».
b) « je l’ai envoyé ».
c) « supléer ».


18 août [1845], lundi après-midi, 2 h. ½

Mon doux bien-aimé, je t’attends. Je crains d’avoir à attendre longtemps encore avant d’avoir le bonheur de t’embrasser. Si je savais seulement comment tu vas, j’aurais peut-être un peu moins d’impatience et encore, je dis cela mais je sais par expérience que rien ne peut empêcher cette impatience ardente qui s’empare de moi dès que je t’attends. Te voici justement. Tu n’as fait que paraître, mon bien-aimé, mais c’était bien bon. Ce que je te demande, mon Victor chéri, c’est que je sens que cela m’est tout à fait nécessaire. Nulle part on n’a vua peut-être une pauvre femme tenue enfermée entre quatre murs avec cette rigueur. Enfin tu dois me connaître à présent et savoir que je ne ferais pas un mauvais usage de ma liberté. Je te demande d’être traitée comme toutes les honnêtes femmes et de ne pas m’imposer une exception humiliante pour le cœur et douloureuse pour le corps. Tu sais bien que tu ne pourras pas me faire sortir. Ce n’est pas une fois en six mois qui peut me faire du bien. C’est un leurre et une manière d’éluder la juste demande que je te fais. En attendant, je souffre, j’ai des maux de tête hideux et de mauvaises pensées. Ce n’est pas la première fois que je m’en suis plainteb. Du reste, si cela te contrarie, je me résignerai en t’en laissant toute la responsabilité.
Tu m’as promis de venir ce soir. Tâche de me tenir parole, car je ne sais pas ce que je deviendrai s’il faut que je ne te voie pas. D’ici là, je vais penser à toi et t’aimer. Tout à l’heure j’écrirai la conversation du matelot, du moins ce dont je me souviens. Je t’attends, mon Victor, c’est le commencement et la fin de presque toutes mes lettres, comme t’aimer est l’occupation de ma vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 166-167
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « on a vu ».
b) « je m’en suis plaint ».

Notes

[1Juliette détourne un célèbre proverbe : « La plus belle fille ne peut donner que ce qu’elle a ».

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