25 mai [1845], dimanche matin, 11 h.
Mon cher petit bien-aimé, je te souhaite le bonjour et je te baise de l’âme en attendant que tu viennes, car je t’attends, c’est une habitude dont je ne me déferai jamais maintenant. J’en ai trop usé et trop abusé malheureusement.
Ma péronnelle est partie chez ton Varin qui la conduira chez son Dumouchel. Elle a dû arriver à l’heure. Nous verrons ce qu’il en pense. J’aurais été plus sûre de son opinion s’il te la disait à toi-même parce qu’alors il n’y ferait peut-être pas de façon et n’y mettrait aucun ménagement. Je voudrais que cette cérémonie fût passée et que cette pauvre enfant ait réussi [1]. En attendant, cela te donne bien de la peine et te cause beaucoup de dérangement. Tu n’as pas besoin de cela pour en avoir plus que tu ne peux en porter. Vous savez Toto que je suis À VOS ORDRES. Je vous attends de pied ferme. C’est l’instant de vous montrer, MAIS NE VOUS CACHEZ PAS. Jusqu’à présent, vous n’avez que trop suivi la fameuse tradition des brigands de L’AMBIGU. Je voudrais vous en avoir adoptéa une autre, ne fût-ceb que pour rompre un peu la monotonie de ce genre nébuleux et taciturne. Ce soir je vous sommerai et au besoin je vous ASsommerai pour vous faire sortir de votre caractère INVIOLABLE DE PAIR de France. Vous avez pris beaucoup trop tôt la recette de M. de Malé d’anacréontique mémoire. Je vous conseille d’en user seulement au même âge que lui, ce sera assez tôt. D’ici là, tâchez d’oublier que vous êtes un pair de France doublé de l’académicien. Devenez un simple homme si vous pouvez. Redevenez le fameux Toto des mai [2], des Roches et autres lieux non moins célèbres si vous tenez à m’être agréable.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16359, f. 219-220
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « adopter ».
b) « ne fusse ».
25 mai [1845], dimanche soir, 10 h. ½
Je ne veux plus que vous veniez patauger à travers mes petites filles comme tantôt, mon cher petit scélérat. Je n’ai pas besoin, moi, que vous fassiez des ravages dans leur petit cœur de fromage mou à mes dépensa. Ravagez-moi tant que vous voudrez, je ne m’y oppose pas. La chose, d’ailleurs, est plus qu’à moitié faite.
Cher bijou de ma vie, mon Victor bien-aimé, je ris avec toi pendant peut-être que tu es triste et inquiet de ton beau-père [3]. Je ne veux pas que ma lettre, que tu liras ce soir, te soit importune ou désagréable si tu es dans une disposition d’esprit triste. Je veux seulement te dire que je t’aime et que tu es mon Victor adorable et adoré.
Clairette reste demain pour aller à l’Hôtel de Ville. Si tu avais pu dessiner ton chiffre, Eulalie aurait commencé à le broder demain pendant la séance. Autrement ce sera du temps perdu, car elle ne peut pas emporter d’autre ouvrage, ce qui sera très malheureux puisqu’elle restera là au moins trois ou quatre heures. Si tu viens ce soir assez tôt, je te tourmenterai beaucoup pour que tu le fassesb. En attendant, je t’aime, tu es mon Victor ravissant que je divinise dans ma pensée et dans mon cœur. Je serai bien heureuse si tu viens tout à l’heure et si tu n’es pas inquiet et tourmenté de l’état de ton beau-père plus que tantôt. Je t’aime, je te baise, je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16359, f. 221-222
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « à mes dépends ».
b) « tu le fasse ».