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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 mai 1845

11 mai dimanche matin 7 h. ½. [1845 ?]

Bonjour, mon pauvre doux adoré, bonjour, mon amour béni, bonjour. Je vois avec chagrin que le temps est sombre, pluvieux et froid ce matin. Je crains que ce ne soit un parti pris pour toute la lune, qui est la lune rousse, et je m’en afflige à cause de la mauvaise influence qu’elle peut avoir sur ta pauvre gorge. Quel tourment de savoir ta guérison attachée au plus ou moins de variations de température dans un climat et sous un ciel comme le nôtre. Pour ma part je donnerais tout au monde pour que nous ayons à l’instant même une égalité de chaleur sénégalienne, dussé-je suer ma bonté par tous les pores et faire de ma peau un coquelicot à pattes plus rouges que les plus rouges montagnards. Tout cela n’est pas bien gai et ne me donne pas la plus petite envie de rire, au contraire. Avec cela que tu n’es pas revenu hier au soir comme je m’en étais flattée. Il est vrai que j’ai pour bassiner ma déception une compresse de 107ff 50c mais ni l’or ni la grandeur ne nous rendent heureux. Aussi je ne suis pas heureuse. Mais pourquoi diable aussi vais-je nicher mon bonheur dans votre introuvable panier ? Il n’y a qu’une Juju comme moi aussi bête pour commettre cette stupide imprudence. Oh ! Si jamais je pouvais rattraper mon cœur comme je le garderais à moi toute seule et comme je vous tirerais la langue jusqu’à la cheville pour vous apprendre de l’avoir oublié comme vous le faites depuis si longtemps. Taisez-vous. Je garde vos 107f 50c et nos comptes.

Juliette

Vente ADER, salle Favart, 6-7 octobre 2020 (expert Thierry Bodin), n° 267
Transcription d’Evelyn Blewer


11 mai [1845], dimanche matin, 9 h. ¾

Bonjour, mon Toto chéri, bonjour, mon cher amour, bonjour, mon Victor adoré, bonjour, je t’aime. Tu m’as quittée hier au soir bien gaie, bien portante et bien heureuse et une heure après, je me tordais dans des coliques atroces. Toute la nuit s’est passée comme cela. Je n’ai pas voulu appeler Suzanne parce qu’il m’aurait fallu réveiller ma fille. Aussi j’ai beaucoup souffert. Ce matin je suis courbaturée et mon ventre est très douloureux. Cependant je voudrais ne pas me recoucher à cause de ma pauvre péronnelle que cela divertira médiocrement. J’ai voulu faire les cornes hier à la vieille fée du guignon qui s’en est bien vengée en m’envoyant les plus effroyables coliques qui se soient jamais logées dans des BOILLIAUX humains. Je veux tâcher de ne pas me coucher. Je fais tout ce que je peux pour cela. Nous verrons si j’en viendrai à bout ! Dieu, quelle ravissante lettre je t’écris là ! Elle pourrait figurer avantageusement dans le fameux CABINET DES MÉDAILLES D’AMBOISE [1]. Je te la livre pour cela. À défaut d’esprit, elle aura du moins le mérite de la COULEUR LOCALE.
Baise-moi, mon Victor, la colique rend très bête, mais elle n’empêche pas d’aimer. Le cœur n’est pas dans le ventre, l’esprit non plus, mais je suis stupide et je t’aime à l’adoration.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 161-162
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette


11 mai [1845], dimanche après-midi, 4 h. ¼

Je suis bien malencontreuse, mon bien-aimé, pour si peu que je te vois, tu arrives juste au moment où je souffre le plus. Cela m’a contrariée et chagrinée plus que je ne peux te le dire parce qu’il me semble que tu t’en vas en emportant de moi une impression maussade et désagréable qui doit, dans un temps donné, influer sur ton amour. Depuis tantôt, je suis triste et mécontente de moi. Je m’en veux et je me suis insupportable à moi-même. Cependant il faut que je tâche de me vaincre à cause de ma pauvre péronnelle qui n’est pas cause de mes humeurs noires et des caprices de ma santé. Mon Victor adoré, n’oublie pas ceci, parce que c’est la vérité pure. Je t’aime plus que ma vie. Le jour où tu ne voudras plus de mon amour, je mourrai. Tâche d’oublier ma vilaine vieille figure maussade de tantôt et aime-moi si tu le veux, je guérirai tout de suite. Pour cela, il suffit de m’aimer de tout ton cœur. Si tu étais comme moi, cela te serait bien facile et tu n’aurais pas d’effort à faire.
J’espère que je te verrai tantôt et que j’aurai meilleure mine que ce matin. Je souffre toujours cependant. Je te supplie d’avance de ne pas t’en préoccupera. Je t’aime, mon Victor, je t’aime sans partage et d’un amour pur comme du cristal. N’en doute jamais, si tu ne veux pas être le plus injuste des hommes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 163-164
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « préocuper ».

Notes

[1Le 18 juillet 1843, Juliette Drouet et Victor Hugo partent en voyage. Ils quittent Paris ce jour-là et passe à Amboise. Victor Hugo, dans son récit de voyage dans les Pyrénées (1843), définit Amboise comme : « […] une gaie et jolie ville, couronnée d’un magnifique édifice. À une demi-lieue de Tours, vis-à-vis de ces trois précieuses arches de l’ancien pont […], c’est une belle et grande chose que la ruine de l’abbaye de Marmoutier. »

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