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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 mai 1845

7 mai [1845], mercredi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon Toto, bonjour, mon Victor. Que faut-il que je te dise pour ne pas te laisser voir ce qui est au fond de mon âme ? Que je suis gaie, que je suis heureuse, que je ne me suis pas aperçu que tu n’étais pas venu cette nuit ? Je te le dirais sérieusement que tu ne le croirais pas et tu aurais parfaitement raison. Aussi, mon Toto, j’aime mieux te laisser voir ma tristesse telle qu’elle est pour n’avoir pas à faire sur moi un effort douloureux en te la cachant.
Je ne sais pas quand je te verrai mais je sais combien j’ai besoin de te dire que je t’aime. Tâche de venir bien vite, mon Toto, le plus tôt que je te verrai, le plus vite je serai guérie de ma tristesse. En attendant que tu viennes, je m’occupe de toi pour me faire trouver le temps moins long. Cela ne me réussit guère cependant, mais je persévère avec une constance digne d’un meilleur sort.
Jour, Toto, jour, mon cher petit o, Papa est bien i, voime, voime. Il faut se dépêcher de le dire pour ne pas se tromper. Taisez-vous, méchant. JE VOUS INSULTE COMME JE PEUX PARCE QUE J’AI L’AMOUR ET LA RAGE DANS LE CŒUR.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 141-142
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette


7 mai [1845], mercredi après-midi, 2 h. ¼

Je viens de recevoir une lettre de Claire [1] que le jardinier m’a apportéea. J’ai besoin de t’en faire part tout de suite parce qu’elle est vraiment pleine de cœur. Il y a un moment où elle parle de toi d’une manière qui m’a touchée et qui te plaira, j’en suis sûre, parce que c’est vraiment senti et sorti du fond du cœur. Du reste, la pauvre enfant parle d’une mère qui a perdu sa fille dont elle était, Claire, l’amie. Elle en parle avec abondance et avec effusion de sympathie qui fait voir qu’elle sent toute l’horreur d’un malheur comme celui-là. M. Pradier a écrit à sa fille Charlotte sans dire un seul mot pour Claire [2]. C’est pousser un peu loin la précaution, entre nous soit dit. Sa femme est allée voir sa fille à la pension. Elle a parlé à Mme Marre de Claire et de moi. Tu verras ce paragraphe. Quant à moi, j’ai conseillé à Claire le plus profond silence et la plus grande réserve en tout ce qui regarde cette dame [3].
C’est demain jour de 1ère communion à la pension. Claire sera seule dans l’après-midi pour garder la maison et les petites mioches. Elle me supplie d’aller la voir un instant. Le voudras-tu ? Cela dépend de toi. Si tu ne le veux pas, je resterai. En attendant, je t’aime, je pense à toi, je te désire et je t’adore. Je baise tes ravissants petits pieds et ta belle petite bouche de rose.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 143-144
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Siler]

a) « m’a apporté ».


7 mai [1845], mercredi soir, 7 h. ½

Quelle surprise et quelle joie, mon bien-aimé, une lettre de toi [4] ! Une lettre adorable comme tout ce qui sort de toi. Ô merci, merci, mon Victor ineffable et divin ! Merci à genoux, mes yeux dans tes yeux, mon âme dans ton âme. Je pensais à toi, quand n’y pensé-je pas ? quand ta lettre m’est arrivée. J’ai reconnua ta chère petite écriture et je me suis enfuie de la salle à manger où j’étais pour venir la lire seule dans ma chambre. Mon Victor, quel bonheur tu viens de me donner. Sois béni, toi et les tiens. Soyez tous heureux, vous ne le serez jamais autant que je le désire et que tu es bon et charmant. Mais quel bonheur, mon Dieu ! Je la regarde et j’en lis les tendres et douces expressions à travers le papier pendant que je t’écris. C’est un si puissant magnétisme que le bonheur. L’amour le plus aveugle, l’amour mythologique devient lucide et clairvoyant dès qu’il est heureux. Et je suis heureuse, mon Victor. Je suis aimée. Mon Dieu, qui te rendra jamais la joie que tu viens de me donner ? Merci et adoration à toi, mon Victor.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 145-146
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « j’ai reconnue ».

Notes

[1« Lettre datée du 7 mai, commencée au verso de la dernière page d’une autre lettre écrite le 5 dont le début manque (B.P.U., Ms. fr. 1312). » (Siler, t.III, p. 190)

[2Dans sa lettre à sa mère, Claire a dû évoquer la lettre de James Pradier à Charlotte. Claire a également évoqué Victor Hugo, comme l’indique les propos de Juliette Drouet. Concernant la lettre de Claire (B.P.U., Ms. fr. 1312), Douglas Siler précise : « On lit à la fin de celle-ci, en post-scriptum : « Charlotte me charge de t’embrasser bien fort et de te dire qu’elle t’aime beaucoup, beaucoup. elle voudrait bien t’écrire. » (Siler, t.III, p.190)

[3Douglas Siler commente ainsi cette remarque de Juliette : « Louise Pradier avait revu Charlotte ainsi que ses autres enfants dimanche 4 mai. Dans sa lettre du 7 mai, Claire écrivait : « Mme Marre m’a parlé de Mme Pradier qui dit qu’il n’y a pas eu femme sur la terre qu’elle estime autant que toi et qui ait autant de délicatesse et de bonté que tu en as. C’est une chose qui m’a fait une bien grande joie de voir cette femme même s’incliner devant ce que j’ai de plus cher et de plus vénéré dans le monde. Mme Marre trouve qu’elle a quelque chose d’un peu incohérent et d’égaré. Je communie demain, ma chère maman. Je te prie de penser à ta Claire [...]. » [...] Claire est restée chez sa mère du samedi 10 au mardi 13 mai, mais sa visite à son père le 10 n’a suscité aucun commentaire dans les lettres de Juliette à Hugo. » (Siler, t. III, p. 190).

[4Ce mercredi 7 mai 1845 à 3 h. ½, Victor Hugo écrit à Juliette Drouet : « Ce ne sera encore qu’un mot, mais je veux te l’écrire, mon pauvre ange. Je veux que tu saches que ma pensée est sur toi, qu’au milieu de cette assemblée, à travers toutes ces choses qui se disent autour de moi, sous tous ces regards fixés à toutes mes actions, je pense à toi, je suis à toi, je t’aime ! Je suis absent d’auprès de toi, ma bien-aimée, mais pour moi tu es toujours présente. Mon cœur ne te quitte pas. Tu es l’ange doux et résigné et charmant auquel volent sans cesse toutes mes pensées. À cette heure, tu songes à moi, toi aussi de ton côté ; tu es seule, – non tu ne l’es pas ! car je suis là : vois-tu, il est impossible que tu ne sentes pas toute mon âme toujours et à toute heure près de toi. Ton cher et ravissant visage me suit partout... (on vient de m’appeler pour voter une loi. Je n’ai plus que le temps de te dire que je t’adore et que tu es ma vie comme tu es mon bonheur.) » (Massin, t. VII, p. 842 ; Blewer, Lettres à Juliette Drouet, p. 133).

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