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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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15 juillet [1845], mardi matin, 8 h.

Bonjour, mon Victor adoré, bonjour, mon noble et généreux homme, bonjour, comment vas-tu mon âme ? Tu m’as pardonné, n’est-ce pas ? Je le sais et je ne te le demande que pour te répéter que tu es mon noble et généreux homme que j’admire et que j’adore. Si on pouvait rire du mal qu’on a fait et qu’on s’est fait, je rirais bien de moi pour m’être affublée hier, sans m’en douter, de la hideuse et ignoble figure d’un Rolle, d’un Planche et d’un Nisard [1]. Il me semble que je devais ressembler à Cocotte dans la peau d’un crapaud. Mais à côté de ce grotesque travestissement, il y a la peine que je t’ai faite et que je me suis faite, ce qui enlève la meilleure partie du comique de la situation. Aussi, mon Victor adoré, je te demande pardon à deux genoux de m’être laissée aller à un mouvement d’injuste et stupide ironie qui était plus dans mes paroles que dans mon cœur. Je peux même dire la main sur la conscience que cela n’était pas du tout dans mon cœur ni dans ma pensée. J’espère que cette douloureuse leçon me corrigera à tout jamais de faire du libéralisme à l’improviste. J’attendrai pour cela d’être député à la Chambre des pairs. D’ici là, je me tiendrai dans une prudente réserve et je ne ferai de l’opposition qu’avec ma perruche et mon chat.
Mon Victor bien aimé, je baise tes adorables perfections depuis la plus petite jusqu’à la plus grande. Je te donne ma pensée, ma vie, mes jours, mes nuits et mon âme. Fais-en ce que tu voudras. Je ne te demande en échange que tout ton amour. QUE ÇA.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 39-40
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette


15 juillet [1845], lundi soir, 5 h. ¾

Cher bien-aimé, je suis avec toi, me sens-tu ? Je te suis de la pensée et de l’âme, me vois-tu ? Il y a bien ici une vieille bonne femme qui fait la pâtéea du chat et qui reçoit la visite de Mme Triger et de Mlle Féau. Mais la Juju, la vraie Juju de son Toto n’y est pas. Elle est avec son Toto parlant bien bas à son oreille pour ne pas troubler sa rêverie, baisant ses beaux cheveux noirs un à un pour n’avoir jamais fini, marchant quand il marche, s’arrêtant quand il s’arrête, et ne souriant pas quand il sourit aux diverses femelles qui lui font des grâces. Ainsi vous êtes prévenu, mon amour chéri, que votre Juju courtb la prétentaine avec son amoureux dès que vous avez franchi le seuil de ma porte. Maintenant cela ne me regarde plus. C’est un avis charitable que je vous ai donné à cause de notre ancienne connaissance. Faites-en votre profit si vous l’osez.
Jour, Toto, jour, mon cher petit o, baisez-moi tout de même pendant que je n’y suis pas. Cela me fera l’effet que je suis en bonne fortune et cela me fera plaisir. Baisez-moi bien vite. À peine as-tu été sorti de chez moi, mon Victor adoré, que j’ai eu Mlle Féau et Mme Triger. Elles sont restées très peu de temps, l’une retournait auprès de sa mère qui se meurt, et l’autre couraitc après son locataire qui paraissait avoir oublié que c’est aujourd’hui le 15. Je suis donc restée toute seule depuis ce temps-là, c’est-à-dire avec ta pensée, ce qu’il y a de plus doux et de plus charmant après toi. Je t’attends avec autant d’impatience que d’amour. Je te baise des millions de fois.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 41-42
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « la pâté ».
b) « courre ».
c) « courrait ».

Notes

[1Jacques Hippolyte Rolle, Gustave Planche, et Désiré Nisard sont tous trois journalistes et critiques littéraires, ennemis revendiqués de Victor Hugo.

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