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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 juillet [1845], jeudi matin, 9 h. ¼

Bonjour, mon Toto chéri, bonjour, mon bien-aimé, je t’écris un grand bonjour sur mes jambes, sous entendu. Je suis levée depuis ce matin et je vais très bien. Si je pouvais espérer passer la journée avec toi, le roi Louis-Philippe ne serait pas mon cousin [1]. Malheureusement il n’en est rien, de sorte que je suis une Juju médiocrement flettée [2]. J’ai beau me dire que je me porte très bien, j’aimerais mieux être malade à crever et être avec toi toute la journée. Chacun son goût, comme dirait Dupressoir [3]. J’aurais pu, je crois, sortir aujourd’hui et je pourrais surtout sortir samedi. Cependant je ne veux pas faire d’imprudence inutile. Je suivrai en cela, comme en tout, tes conseils. Mon Dieu que je voudrais passer quelques heures de suite avec toi. Autrefois j’avais plus d’ambition et cela me réussissait. Maintenant je suis très réservée et très discrète dans mes vœux et cela ne me réussit pas. Autre temps, autre bonheur, et pas du tout de bonheur. Cher adoré, je ne veux pas blasphémer, je suis heureuse puisque je t’aime et que tu m’aimes. Le bonheur viendra quand il pourra. En attendant, je te baise et je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 19-20
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette


10 juillet [1845], jeudi après-midi, 4 h. ¾

Cher bien-aimé, je baise ton souvenir, je respire l’air dans lequel tu es passé. J’aimerais mieux baiser ta bouche et respirer ton souffle mais je n’ai pas le choix. Il faut que je me contente de cette viande creuse faute d’autre plus substantielle. Tu es mon Victor bien fugitif et bien rare, mais bien désiré et bien adoré.
J’ai là une lettre de Mme Luthereau. Tu l’ouvriras quand tu viendras. J’en ai reçu une de la femme Granger qui contenait le reçu définitif de ma dette. Cette femme se permet de me faire des compliments sur mon exactitude et m’envoie ses salutations empresséesa comme si cela pouvait me toucher de la part d’une aussi sotte et aussi méchante créature. Enfin en voilà encore une d’exterminée grâce à ton courage surhumain. Mon pauvre ange, je donnerais de grand cœur deux doigts de ma main pour que ce fût la dernière, plus pour toi que pour moi, et même tout à fait pour toi, mon adoré, afin que tu n’aies plus à t’occuper de ces vilaines bêtes-là. Mon Victor, mon Victor, tu m’as sauvée en te sacrifiant pour moi. Mais à mon tour ne pourrai-je donc jamais faire rien pour te prouver ma reconnaissance ? Oh ! cette idée-là me tourmente par instant. Je t’aime mon adoré, je voudrais mourir pour toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 21-22
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « salutations empressés ».

Notes

[1L’expression familière « Le roi n’est pas mon cousin » signifie « Il est si fier ou si heureux, que le roi ne lui semble pas un parent digne de lui » (Larousse).

[2S’agit-il d’une déformation de « flattée » ?

[3À élucider.

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