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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 avril [1844], samedi matin, 9 h. ¾

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, mon Toto chéri, bonjour mon ravissant petit homme. Comment vas-tu ce matin ? Comment vont tes yeux ? As-tu pris un peu de repos cette nuit ? M’aimes-tu ? Moi, je vais bien, ou à peu près, et je t’aime de toute mon âmea. Je vais me lever tout à l’heure et reprendre mon petit train train de vie. Si tu veux venir lever l’appareil de ma guérison, cela m’autorisera à me croire bien portante car jusqu’ici, je n’en suis pas très sûre. Jusqu’à présent, on disait l’appareil d’une blessure, moi, je dis l’appareil d’une guérison. Ça n’a pas le sens commun mais tu n’y regardesb pas de si près avec moi et tu as bien raison, mon pauvre amour, car tu courrais risque de n’y voir que du pataquès hideux tandis qu’en réalité il n’y a que du bon bien vrai et bien tendre amour pour toi.
Je n’oublie pas ma culotte, tu me l’as promise pour bientôt, tu t’en souviens, n’est-ce pas mon Toto ? Il faudra me tenir ta promesse. Il y a si longtemps que je soupire après que je suis très impatiente de l’avoir. Aussi, tu dois compter que je te tourmenterai jusqu’à ce que je l’aie.
Voici Mme Guérard qui m’envoie sa bonne avec un gribouillis pour que je lui donne ses 10 F.  : comme elle était déjà venue inutilement l’autre fois, je n’ai pas voulu ne pas les lui donner et je les ai pris à Suzanne en attendant que tu m’en apportes. Je croyais d’abord que c’était la nouvelle de la mort de cette pauvre Mme Pierceau [1] mais malheureusement cela n’était pas. Pauvre Mme Pierceau, c’est ce qu’on peut lui souhaiter de plus heureux maintenant.
Mon petit Toto bien aimé, je t’aime. Je ne te le dirai jamais autant que je le sens. Je pense à toi avec ravissement, tâche de venir, mon cher amour et tu achèverais ma guérison. D’ici là, je vais me lever et me débarbouiller à fond pour que vous ne soyez pas dégoûté de m’embrasser. Taisez-vous, vous êtes une bête. Baisez-moi, aimez-moi ou je m’embarque pour l’autre monde tout de suite.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 37-38
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « mon mon âme ».
b) « tu n’y regarde ».


13 avril [1844], samedi soir, 9 h.

Je suis obligée de mettre un intervalle entre ma soupe et mon gribouillis, mon amour, sous peine de voir augmenter mon mal de tête qui est déjà trop insupportable comme cela. Je te copie dans tout. C’est mon chic même quand cela peut me couvrir de ridicule, c’est au contraire le moment où je te copie le plus. Je te dirai, mon Toto, que j’ai vérifié tes additions, tes soustractions et autres multiplications et que j’ai trouvé le tout parfaitement juste. Reste à savoir si tout a été fidèlement porté. Guyot et Dieu le savent. Tu pourrais peut-être le savoir aussi, si tu voulais, mais tu aimes mieux t’en rapporter à eux. Tu fais bien, cette confiance t’honore, en supposant qu’elle ne te ruine pas.
Jour Toto, jour mon cher petit o. Je vous aime. Après cet aveu, je pourrais tirer, sinon l’échelle ou ma révérence, au moins toutes les pattes de mouches qui vont suivre car je n’ai rien de mieux à vous dire. Rien de plus nouveau, rien de plus ancien, rien de plus drôle, rien de plus sérieux, rien de plus tendre et rien de plus terrible que ces deux mots-là : – je t’aime. Dans ces deux mots, il y a toute ma vie. Le passé, le présent et l’avenir. La joie et la douleur, la gaieté folle et les larmes de sang. Tout ce qui fait blasphémer et tout ce qui fait croire en Dieu. Aussi, mon Victor, quand je t’ai dit ces mots suprêmes, je ne trouve plus rien à te dire car plus rien n’existe pour moi. Je sais bien qu’il y a mille manières charmantes de les écrire ces deux mots mais je ne les sais pas, ce n’est pas de ma faute. Juju est une bête, ça n’est pas sa faute. Ia, Ia, monsire, matame, mamzelle Chichi est heine pête, il n’est bas son faute [2]. Je voudrais bien savoir quand tu viendras, mon cher adoré, pour m’en réjouir à l’avance. J’ai bien peur que ce ne soit pas avant minuit et, quoique la soirée soit déjà bien avancée, je n’en suis pas moins découragée en regardant tout le chemin que la pendule a encore à faire pour en arriver là. Enfin, mon Toto, si je t’ennuie, pardonne-moi à cause du sentiment qui en est la cause. Si je t’aimais moins, je serais moins impatiente et peut-être aussi plus aimable et plus spirituelle.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 39-40
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

Notes

[1Cette amie de Juliette est à l’agonie.

[2Imitation de l’accent allemand pour « Oui, oui, monsieur, madame, Mlle Juju est une bête, ce n’est pas de sa faute. »

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