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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er mars [1844], vendredi matin, 10 h.

Bonjour mon Toto bien aimé, bonjour, mon adoré petit homme, bonjour, bonjour, je vous aime et je consens à suspendre tout ce que vous voudrez au clou que vous savez. Je vous fais grâce de la corde, fût-elle neuve comme celle du docteur Thibert [1]. Le clou seul suffit pour opérer chez moi toute espèce de cure. Vous voyez, mon Toto, que je ne me refuse pas à publier hautement les merveilles de votre PATHOLOGIE ! Je vous prie seulement d’en user plus souvent.
Jour Toto, jour mon cher petit o. Comment vas-tu ce matin ? As-tu pris un peu de repos cette nuit ? Viendras-tu bientôt, mon cher amour ? Je ne te demande pas à sortir quoique j’aie fort le désir d’aller chez cette pauvre malade [2] ; mais, je sais que ton temps ne t’appartienta pas et je renonce avec regrets à ce que je regarde comme un devoir.
Seulement, je te prie dès que tu auras un moment de le consacrer à me mener chez cette pauvre femme. Tu n’auras pas longtemps à lui donner cette preuve d’intérêt. Je crois que je ferai prévenir les Lanvin tantôt pour qu’ils aillent te porter ton cadre, du moins un des leurs. En même temps tu leur remettras leur paquet [3]. Je renonce à voir ce qu’il y a dedans. Ce à quoi je ne renonce pas, c’est à vous aimer et à être aimée de vous. J’y tiens plus qu’à la vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 237-238
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « t’appartiens ».


1er mars [1844], vendredi soir, 8 h. ½

Tu es mille fois trop bon pour moi, mon adoré, et je serais un monstre d’ingratitude si je n’en étais pas profondément reconnaissante. Mais, mon cher adoré, je veux être raisonnable car je sens que c’est avec des jours de travail que tu me fais ces moments de joie. Aussi, mon adoré, je ne veux plus passer par la route de quarante ni de cinquante six sous [4]. Si nous sortons nous prendrons des routes plus sûres telles que : la rue grand Butor [5], le boulevarda ou autre chemin vertueux. Non, mais très sérieusement, mon amour, je veux fuir la tentation et les marchands de bric-à-bracb. Tu as été trop bon jusqu’à présent, mon Toto, c’est à mon tour maintenant.
Je voudrais bien savoir où en est le MINISTÈRE. L’amour rend capable de tout, comme tu vois, puisqu’il peut faire prendre à une Juju de l’intérêt pour des affaires politiques. Pauvre adoré, c’est bien vrai que je t’aime, tu ne le sauras jamais autant que c’est vrai.
À propos, mon Toto, Mme Luthereau est encore venue tantôt, Suzanne vient de me le dire seulement tout à l’heure. Heureusement que cela importe peu. Je t’aime, je t’adore, je te baise, je te mords, je te [vénère ?].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 239-240
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « boulevart ».
b) « brics-à-bracs ».

Notes

[1Dans l’ouvrage scientifique d’Ambroise Tardieu figure le récit d’un fait divers. Au mois de février 1844, la cour d’assises de la Seine-Inférieure condamnait à la peine de mort un certain Thibert. Il repérait des victimes âgées souffrant d’infirmités, leur proposait de les guérir après qu’elles se soient procuré un gros clou neuf et une corde neuve aussi. Trois vieillards furent ainsi pendus avec corde et clou neufs. Tardieu conclut : « la rumeur populaire [lui] décerna tout d’une voix le nom de médecin à la corde. » Étude médico-légale sur la pendaison, la strangulation et la suffocation, Paris, J. B. Baillière et fils, 1870, p. 66, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k214977k.
Les allusions de Juliette sont quant à elles clairement grivoises.

[2Mme Pierceau.

[3Le contenu du paquet est inconnu.

[4« La route de Quarante Sous » est le surnom donné à la portion de route entre Saint-Germain en Laye et Mantes-la-Jolie. Ce surnom viendrait du salaire donné aux ouvriers chargés de la construire ou du montant d’un péage.

[5Probable jeu de mots sur Rambuteau.

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