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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 novembre [1843], lundi matin, 11 h.

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon Toto adoré. Comment vas-tu ce matin ? TU NE ME DIS PLUS RIEN. C’est très prudent de ta part mais je n’en suis pas plus avancée que si tu me CHANTAIS toujours la même chanson. J’ai tout autant de confiance dans ton SILENCE que dans tes PROMESSES. Vous devriez rougir de honte si vous aviez le plus petit cœur. C’est aussi l’avis de Cocotte. Oui, oui, oui. À propos de Cocotte, je n’ai toujours aucune nouvelle de Jacquot. Il serait très mal venu aujourd’hui car je n’ai pas le sou et la Suzanne a fait venir du charbon ce matin. Ainsi, je lui conseille de rester en Bretagne le plus longtemps qu’il pourra maintenant que le tour est fait de l’avoir demandé à ces braves gens [1]. Claire ne se doute de rien. Elle étudie dans ce moment-ci l’art de ne pas perdre l’intérêt de sa [illis.] quand elle en aura. Je trouve la chose trop essentielle pour la troubler dans une étude aussi nécessaire. Du reste elle va bien ce matin mais il faudrait que ce ne fût pas pour un moment. Il faudrait que le père Triger aide la nature à se régler pour éviter ces fréquentes indispositions. Nous verrons ce qu’il dira tantôt. S’il n’y a pas besoin de sangsues je la renverrai à la pension demain matin voilà tout. Il est important qu’elle ne perde pas de temps ni d’une façon ni de l’autre. Voilà mon avis et le sien aussi car la pauvre enfant est très raisonnable maintenant. Elle étudie avec joie à présent, on sent qu’elle est heureuse intérieurement. Cela n’a pas été sans peine mais enfin cela est.
Je voudrais bien mon petit Toto chéri que vous me donniez aussi la joie intérieure. Il y a bien longtemps que vous me le promettez. C’est seulement depuis hier que vous ne me promettez plus rien. Je ne vois pas que votre silence soit plus significatif que vos promesses. Cependant mon Toto adoré je vous aime de toute mon âme et je vous désire autant que je vous aime. Qu’est-ce qu’il vous faut donc pour vous attirer ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 71-72
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette


20 novembre [1843], lundi soir, 4 h.

Je viens de voir le médecin, voici ce qu’il ordonne : un régime très tonique dont tu verras le détail écrit. Du [pain au rouge ?] infusé dans du vin de bordeauxa, beaucoup de chaleur aux pieds ; et, si le sang n’a pas repris son cours, une saignée de pied à [illis.] ou des sangsues aux cuisses. Ne pas se prêter aux retards afin de forcer la nature à faire son office en temps et heure. Voilà, mon Toto chéri, ce qu’a dit le sieur Triger.
Je m’aperçois que j’ai mis mon papier sans devant dimanche mais ça t’est bien égal et à moi aussi. Je t’aime très droit et très à sa place. Je ne me trompe jamais, en cela il n’y a pas de dangers. Seulement je ne te vois pas assez, voilà ce qui me chiffonne et ce qui m’exaspère. Tu as toujours trente-six mille prétextes pour ne pas venir et pour ne pas rester, c’est très ennuyeux. Je n’ai plus de fumistes, je n’attends plus de Triger, ma péronnelle sera réintégrée demain dans son capharnaüm, vous n’aurez donc plus de prétexte à me donner, en supposant que ceux que je viens d’énumérer puissent passer pour des prétextes. Je vous assure que je serai méchante comme un chien si vous ne venez pas déjeuner avec moi nuit et jour. Je n’entends plus aucune mauvaise raison, je le veux, je le veux, je le veux. Vous entendez bien ça Toto. Qu’est-ce que vous faites dans ce moment-ci, où êtes-vous, à qui pensez-vous et qui aimez-vous ? Je voudrais bien le savoir. Dépêchez-vous de venir me le dire. Baisez-moi monstre, sinon de fait, au moins d’intention et de désir. Je vous aime trop mais je vais tâcher de ma corriger de ce défaut-là. Ce sera bien fait si j’y réussis.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 73-74
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « bordeau ».

Notes

[1La sœur de Juliette, à Brest, doit lui envoyer son perroquet Jacquot

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