Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1842 > Novembre > 16

16 novembre [1842], mercredi soir, 5 h. ½

Voici la nuit close et je ne vois pas beaucoup de Toto à la fois. Je ne sais pas s’il est aussi invisible à tout le monde qu’il l’est pour moi, j’en doute. Que deviens-tu, mon adoré ? J’ai dans la pensée que tu es au théâtre sinon pour la lecture [1], au moins pour y faire acte de présence et pour y prendre pied. Je suis toute inquiète et toute malheureuse en pensant à cette nécessité. Je crains tout et j’ai bien d’autres craintes et les petites histoires que j’ai apprises tout à l’heure de cette affreuse boutique ne sont pas faites pour me rassurer. Peut-être les savais-tu déjà et ne me les as-tu pas dites, pour ne pas m’effrayer ? Je saurai cela tout à l’heure, car j’espère toujours te voir. Il n’y a que moi au monde pour ne pas perdre l’espérance et le courage depuis si longtemps que je les mets à toute sauce. Le Dabat est venu avec tes souliers et il reviendra lundi avec tes bottes. Quant au tapissier, je n’en entends pas parler. J’ai eu la mère Ledon, c’est elle qui m’a raconté les nouvelles en question. Tu verras si je dois voir tranquillement tes accointances avec le Théâtre Français et les toupies [2] qui en font le plus bel ornement. J’ai le cœur plein de pressentiments tristes, mais Dieu sait si je suis femme à être indignement sacrifiée à n’importe quelle prison, eût-elle un diadème de carton ou de diamants fins. D’y penser seulement, j’ai la rage dans le cœur. Tu ne viens pas, tu travailles toujours, mais à ce compte là, mon ami, avec la fécondité abondante que tu as, tu devrais faire jouer dix pièces par an et publier vingt volumes. Il est probable que ce travail sans relâche cache quelque horrible trahison que je découvrirai un de ces jours. Hélas, j’en ai plus peur qu’envie et c’est avec cette crainte dans le cœur que je compte les minutes qui s’écoulent entre chacune de tes rares apparitionsa et l’autre. Je suis bien malheureuse et je ne souhaite pas ma vie à ma plus cruelle ennemie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 225-226
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « apparition ».

Notes

[1Victor Hugo a achevé l’écriture des Burgraves le 19 octobre. Il doit à présent en faire la lecture aux théâtres, ce qu’il fera au Comité de Lecture du Théâtre-Français le 23 novembre 1842.

[2Toupie : femme de mauvaise vie.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne