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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 décembre [1843], samedi matin, 11 h. ¼

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon adoré petit homme, bonjour, bonjour, je t’aime. Comment vas-tu mon bon petit bien-aimé ? Moi je ne vais pas. Je suis de plus en plus patraque, je ressemble au sixième gendarme de la chanson. J’aurais très grand besoin d’un petit morceau de bois bien sucré [1] pour me consoler un peu de toutes mes disgrâces. Je tousse, je mouche, je pleure, je geins, je grogne, je brais, je suis dans un état hideux d’éclopement. Pour comble d’infortune j’entends clapotera à travers mon mur des sons harmonieux de chaudron fêlé sous prétexte d’accordage du piano de ma péronnelle. Tu vois qu’un malheur n’arrive jamais sans un autre.
Bonjour mon cher petit père féroce, bonjour tyran, bonjour Ivan, bonjour Pierre 1er, bonjour le plus tigre des pierres. Bonjour, je ne me conseille pas d’être ta fille [illis.] Demain pauvre Charlot va… que n’es-tu mon vrai fils seulement depuis sept heures du matin jusqu’à sept heures du soir. Demain tu verras quelle poudre d’escampette je te donnerai quand je devrais faire sécher ton matelas au soleil ardent de ma déraison pendant ces douze heures-là.
D’abord les exemptions devraient être admises ou bien il fallait prévenir à son de trompe que vous faisiez une atroce exception en faveur de votre sang, comme cela on aurait été prévenu et on ne s’y serait pas frotté.
Vous êtes dans votre tort et vous devez à vous-même de conserver une apparence de justice en faisant remise du suppliceb pour cette fois en maintenant le rejet des exemptions pour le délit prochain. Grâce ! grâce ! grâce ! mon Toto, je vous baiserai bien pour la peine.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 227-228
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « clapoter ».
b) « suplice ».


30 décembre [1843], samedi soir, 10 h. ½

Je ne veux pas me coucher avant de t’avoir écrit mon cher petit Toto, parce que cela m’est encore plus commode de t’écrire assise que couchée. Du reste je vais très bien, autant bien que cela peut aller pour le moment. Il n’y a pas à t’en inquiéter entends-tu ?
Je continue à être très vexée pour mon pauvre Charlot, je sens si bien que c’est toi qui seras le plus peiné demain que par contre coupa c’est moi qui la suis le plus de vous tous. Aussi était-ce plus ta grâce et la mienne que je te demandais ce soir que celle de ce bandit de collégien. Il paraît que cela ne se fait pas. On peut revenir des enfers mais jamais du cachot Jauffret [2]. Que le diable l’emporte celui-là. C’est une fameuse croûte et je ne lui ferai jamais avoir la croix. Il peut y compter comme s’il la tenait.
En attendant, mon Toto, vous allez faire vos orgies dans les sultans et autres de ma pauvre péronnelle. Cependant il y en a un qu’il vous sera difficile de me pincer vu la précaution prise par la susdite péronnelle d’y broder mon chiffre, monstre. Voime, voime, ça n’est pas la précaution inutile. Baisez-moi scélérat, aimez-moi et prenez garde à mon grand couteau tout frais remoulu car je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 229-230
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « contre coups ».

Notes

[1Le bois sucré, ou bâton de réglisse, avait des vertus anti-inflammatoires et expectorantes.

[2François-Victor Hugo et Charles Hugo sont scolarisés à l’Institution Jauffret.

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