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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 décembre [1843], dimanche matin, 10 h. ¼

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, mon cher petit homme adoré, bonjour je t’aime. Pense à moi mon cher petit, je le sentirai d’ici et cela me donnera la force de t’attendre.
Tu es bien heureux aujourd’hui, tu as tes chers petits goistapioux auprès de toi : quel chic, quelle bosse, quel rack ! Moi je n’ai rien du tout que Jacquot qui se livre à des accès de farceur contre cette infortunée Cocotte. J’ai bien besoin que tu m’aimes pour me faire trouver du charme à cette vie animale.
J’ai des maux de tête hideux qui ne me quittent pas. Ce matin je ne sais que devenir. Je ne te parle jamais que de cela mais c’est qu’il m’est impossible d’assembler deux idées tant ma tête est lourde et douloureuse. Ce mois-ci je n’ai éprouvé aucun soulagement de ce qui ordinairement m’en donne ; je prévois que tout le mois sera la même chose, ce qui n’est pas très consolant. Il faudra que tu m’aimes beaucoup et que tu me le prouves pour que je supporte ce surcroit de malaise.
Tâche de venir travailler auprès de moi, mon Toto. Je ferai tout au monde pour que cela ne te gêne pas et j’espère que cela ne te fera pas de mal. Je ne peux pas me passer de toi mais cependant s’il m’était prouvé que cela te fait du mal, j’aimerais mieux mourir que de vivre à ce prix. Je te prie seulement d’essayer ; si tu ne peux pas j’aurai le courage d’y renoncer mais je n’aurai jamais celui de te voir souffrir.
Je t’écris comme dans un rêve tant le mal de tête m’abasourdit. Je ne sais plus ce que je dis ni ce que je fais. Je sens que je t’aime, que tu es ma vie, ma joie, mon bonheur, mon âme et voilà. Tout le reste je suis stupide et aplatie. Je te demande pardon et je baise tes petits pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 149-150
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette


10 décembre [1843], dimanche soir, 4 h. ½

Je suis toute seule, mon Toto, et je serai encore plus toute seule tout à l’heure quand mes oiseaux seront couchés et que Suzanne sera partie chez sa cousine. Je sais bien que cela ne te fera pas venir une seconde plus tôt parce que tu as tes chers enfants à rendre heureux. Seulement je te suppliea de ne pas prolonger mon suppliceb au-delà du temps que tu leur donneras. J’ai bien besoin de te voir mon adoré. J’ai au-dedans de moi une tristesse et un découragement profond. J’ai peur que cela ne finisse par une affreuse folie. Ce que je te dis là te paraît une exagération grotesque mais si tu étais au-dedans de moi tu verrais que ce n’est que la trop triste vérité. Pauvre ange, je ne veux cependant pas t’effrayer et te forcer à t’occuper de moi bon gré mal gré. En somme il arrivera ce qu’il plaira à Dieu et je t’assure que ce n’est pas la crainte de mourir qui m’est pénible, c’est la nécessité de vivre loin de toi.
Pense à moi, mon cher adoré, aime-moi, viens le plus tôt que tu pourras et sois heureux de tout le bonheur que ton absence m’enlève. Tu vois, mon Toto, que je te dis vrai quand je te dis que mon pauvre esprit est à l’envers. Tu peux en juger par la manière dont j’emploie mon papier. Je ne parle pas des mots qui sont encore plus à l’envers. Mais je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 151 et 152
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « suplie ».
b) « suplice ».

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