Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1837 > Décembre > 13

13 décembre [1837], mercredi après-midi, 1 h. ½

Bonjour mon bien-aimé. Je suis honteuse de me réveiller à cette heure-ci mais l’insomnie de cette nuit peut à la rigueur servir d’excuse. Mais vous, mon petit homme, quelle sera votre excuse ? Vous n’avez plus de procès, vous aviez corrigé vos épreuves, vous avez travaillé toute la nuit. Quellea est donc la raison qui vous a empêché de venir ce matin après me l’avoir si solennellement promis ? Vous ne m’aimez plus, mon Victor, vous n’en aimez pas encore une autre, et c’est ce qui vous empêche de vous apercevoirb de votre refroidissement pour moi. Mais moi qui vous aime autant et plus que le premier jour, je sens trop bien votre changement. Je t’ennuie de te dire toujours la même chose. Je devrais bien avoir assez de courage pour me taire. Je l’essaye quelquefoisc mais sans y réussir.
Je voudrais toutes ces affaires entièrement finies. Je crains la rage du groupe de W [1]. surtout quand ils sauront la publicité que tu donnes à la lettre que tu as écrite à M [2]. Il aurait peut-être été plus convenable d’attendre la réponse de M. avant de donner une si grande publicité à la lettre. Tout cela peut s’envenimer et s’éterniser par les rapports des officieux et il n’en manque jamais dans ces sortes d’affaires. Tu vis de tout cela toi, parce que cela t’est bien égal et que tu ne demandes que plaies et bosses [3]. Mais pour moi qui t’aime avec les entrailles et le cœur c’est fort inquiétant. Je voudrais que tout cela fût bien loin derrière nous pour t’aimer en sécurité.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 165-166
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « qu’elle ».
b) « appercevoir ».
c) « quelque fois ».


13 décembre [1837], mercredia soir, 5 h.

Me revoici de nouveau tourmentée mon cher bien-aimé. Je ne t’ai pas vu d’aujourd’hui. Je ne peux pas me figurer pourquoi, ou du moins l’empêchement que je suppose ne fait qu’ajouter encore à la tristesse naturelle de ton absence. Pourvu qu’il ne te soit rien arrivé. Toute cette histoire de lettre et de provocation me trotte dans la tête et me tourmente au-delà de toute expression. Mon Dieu que tu es heureux, s’il ne t’est rien arrivé, de ne pas penser que je souffre et que j’attends. Je ne t’en veux pas. Je t’aime mais je suis bien malheureuse. Depuis trois mois il n’y a pas eu trois jours de bonheur plein pour moi, et je ne prévois pas quand cela finira. Je suis bien malheureuse. L’heure passe et tu ne viens pas. Il faut qu’il te soit arrivé quelque chose. J’ai le cœur trop serré pour que ce ne soit pas un pressentiment. Si je ne te vois pas avant dîner j’irai moi-même chez ton portier savoir si tu es sorti et depuis quand. Quelle vie que la mienne mon Dieu. Et dire que cela ne finira jamais, car tu m’aimes de moins en moins. Si je pouvais faire comme toi !
Je voudrais trouver quelques mots moins tristes que tous ceux que je t’ai écrits. Je n’en trouve pas. Celui que je suis accoutumée de te dire est si imprégné de chagrin que cela doit lui ôter toute sa douceur. C’est égal, je le risque. Pour l’usage que tu en fais, c’est bien assez bon mon Victor. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 167-168
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « mercredi » (jour correct) est écrit en plus petit sous « mardi » (erroné mais non biffé).

Notes

[1À élucider. Voir la lettre du 11 décembre au soir. Il pourrait s’agir d’un groupe d’adversaires rassemblés autour de Jules de Wailly, chef du bureau des Théâtres au ministère de l’Intérieur.

[2À élucider. Il a déjà été question de ce mystérieux personnage dans les lettres précédentes.

[3« Chercher plaies et bosses » : expression familière pour parler d’une personne qui cherche les querelles et les coups (donc intrépide et dure au mal), ou qui a intérêt à ce que des querelles éclatent.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne