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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 octobre [1842], dimanche matin, 9 h. ¾

Bonjour mon Toto chéri. Bonjour mon cher amour, comment vas-tu ce matin ? Tu n’as pas eu froid cette nuit, mon Toto chéri, c’est très important pour tes douleurs, il ne faut pas non plus que tu couches près d’un mur ou près d’une porte. Enfin, par raison de santé, il faudrait que vous couchassiez tous les jours dans mon lit. Ceci n’est pas de l’EMPIRISME, c’est de la belle et bonne médecine d’Hippocratea. Maintenant, baisez-moi scélérat, pensez à moi et aimez-moi.
Je vous écris de mon lit, mon Toto adoré, pour économiser mon bois qui déjà a diminué de deux crochetées [1]. Je déjeune dans mon lit, ce sera toujours autant de gagné. Je verrai le Dabat aujourd’hui. Je lui commanderai tes bottes afin que tu ne te trouves pas dans le cas signalé hier dans le messager : « obligé de rester chez toi couché parce que ta servarde t’aurait laissé CHAUFFER TES TUYAUX de POËLE ». Voilà, mon Toto chéri. Et puis, je vous aime. Le temps me paraît meilleur aujourd’hui qu’hier. Je le voudrais pour vous deux, mes chers petits Toto frileux [2]. As-tu vu M. Louis ? Sais-tu si tu pourras jeterb ta perruque par dessus l’Académie [3] ? Il me semble qu’en prenant bien ton temps, cela ne peut pas avoir d’inconvénient. Tu dois sentir toi-même si tu as froid à la tête quand tu l’ôtes et si cela te gêne beaucoup. Je te ferai quand tu voudras l’opération en question. Je te promets d’y mettre tous mes soins, cela va sans dire, n’est-ce pas mon cher bien-aimé. Je ne me vengerai pas de votre INFÂME conduite parce que je suis généreuse, mais je veux au contraire vous accable[r] de mon PARDON et de ma résignation. Une vieille Juju sait souffrir et se taire sans murmurer… sans murmurer… [4] Voime, voime, baisez-moi, monstre d’homme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 179-180
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « hypocrate ».
b) « jetter ».


30 octobre [1842], dimanche après-midi, 2 h. ¼

J’attends toujours ce hideux Ledon qui probablement me fera faux bonda comme cela lui arrive trop souvent. Voici le Dabat, plus exact, lui, et qui promet d’apporter tes bottes samedi prochain de 3 à 4 heures pour tâcher de se rencontrer avec toi. Je t’en ferai souvenir d’ici là.
Mais vous, mon amour, je vous attends aussi et comme d’habitude vous vous ferez attendre longtemps. Si j’osais, je vous ferais une atroce grimace et je vous dirais des tas d’injures, mais bah ! pour l’effet que ça vous ferait, ça n’est pas la peine. Je garde mes grimaces et mes injures pour moi. Jour Toto. Jour mon cher petit o. Je vous aime et je suis bien contente pour vous qu’il fasse beau. Je voudrais baiser vos chères petites pattes. Quel animal que ce Ledon. Je commence à me fâcher à la fin. Il faudra absolument que je m’explique une bonne foisb avec cette espèce de poisson hideux. En attendant, j’ai la mine d’être obligée de me taouiner [5] moi-même, ce qui me sera d’autant plus commode que j’ai mon corset et que je suis débarbouillée. Quel absurde imbécile que ce merlan [6]-là. Je suis furieuse cette fois-ci pour tout de bon. Avec cela, ça me force à écrire des pages entières de stupidités sur ce sujet, comme si la chose t’intéressait. Animal de perruquier, va. Jour Toto. Jour mon cher petit o. Je vous aime, mon amour chéri. Je vous répète toujours la même chose, mais c’est que je n’ai pas autre chose dans ma MÉMOIRE. J’ai beau chercher dans MON ESPRIT, fouiller dans mes poches et dans mon cœur, je n’y trouve que cela. Tant pisc pour vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 181-182
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « bon ».
b) « foi ».
c) « pire ».

Notes

[1Quantité portée par les crochets du crocheteur, pouvant désigner notamment une quantité de bois.

[2Juliette parle ici de Victor Hugo et de son fils François-Victor Hugo, qu’elle surnomme également Toto.

[3Jeu de mot sur l’expression « jeter son bonnet par-dessus les moulins », qui signifie agir à sa guise, sans se soucier des bienséances et des contraintes.

[4Dans Michel et Christine, comédie-vaudeville d’Eugène Scribe créée le 3 décembre 1821 au Gymnase dramatique, Stanislas chante, à la scène 14, sur l’air de « Je t’aimerai » : « Sans murmurer,/ Votre douleur amère / Frapp’rait mes yeux… plutôt tout endurer…/ Moi, j’y suis fait ; c’est mon sort ordinaire :/ Un vieux soldat sait souffrir et se taire/ Sans murmurer. ».

[5À élucider.

[6Merlan (argot) : coiffeur.

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