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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 septembre [1842], mardi après-midi, 1 h.

Je vous crois trop parti à la campagne [1], mon cher petit SALOP, on ne met pas impunément le gros paletot de fatigue et on ne part pas aussi pressé que vous l’étiez tout-à-l’heure pour rien du tout. Quant à votre travail, je sais que ce n’est pas lui qui vous fait déguerpir de chez moi avec cette célérité. Donc vous êtes allé à la campagne. Donc vous êtes un affreux hypocrite, donc je vais aller me promener AU BOIS [2].

2 h.

Je viens de passer par les pattes de mon merlan [3], ce qui a interrompu mon épître pendant trois quarts d’heure. Je le reprends aussi furieuse que je l’avais laissé et plus décidée que jamais à m’aller promener AU BOIS. Tant pis pour vous, pourquoi vous en allez-vous courir la prétentaine [4] au lieu de rester ici à me faire enrager et à me SALIR tout ?
Je ris avec vous, mon pauvre amour, pour mieux vous dire après combien je vous aime, combien je vous admire, combien je vous adore, combien vous êtes mon Toto grand, sublime, doux et charmant. Je baise vos ravissants petits pieds, mais le fait est que j’ai le malheur de vous croire parti à la campagne, ce qui me rend aussi triste et aussi maussade que le temps. Mais si j’ai le bonheur de m’être trompée, tu me verras la plus joyeuse et la plus heureuse des femmes. Je t’aime, toi, entends-tu ? Je ne t’allume pas du feu parce que je crains que ce ne soit pour le roi de Prusse et je ne veux rien faire pour ce MONARQUE VON PRÜSSEN. D’ailleurs, ça ne serait pas le moyen d’arriver au 7 du mois prochain. Hélas ! mon pauvre Toto, je ne sais pas si tu sais un moyen d’y arriver en laissant glisser à cheval sur les 50 F., qui ne sont déjà plus que les 40 F., jusque là ; mais tu devrais me l’enseigner afin que j’en fasse usage. Je ne sais pas comment je fais pour dépenser tant d’argent, ou plutôt, je ne le sais que trop bien et voilà ce qui me décourage. Enfin, si tu sais une manière plus économique, montre la moi et je m’empresserai de m’en servir. En attendant, je t’aime SANS LA MOINDRE ÉCONOMIE.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 139-140
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Les enfants de Victor Hugo, ainsi que sa femme, sont partis entre le 24 et le 25 août s’installer pour quelques mois à Saint-Prix dans le Val d’Oise.

[2Bois de Boulogne. Juliette menace fréquemment Hugo, jaloux, d’aller s’y promener seule.

[3Merlan (argot) : coiffeur.

[4« Courir la prétentaine » : être toujours sur les chemins ou, au sens figuré, rechercher et multiplier les escapades amoureuses.

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