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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 mars 1837

12 mars [1837], dimanche matin, 11 h. ½

Jour mon petit homme chéri. Jour mon petit Loto. Je n’ai reçu ni lettre ni billets, ce qui prouve qu’on accepte avec enthousiasme. Moi je vais me lever pour être prête et habillée quand Mme Pierceau viendra, afina de ne pas perdre une goutte de mon Esmeralda [1].
Méchant Toto, vous n’êtes pas venu encore, malgré vos belles promesses, aussi je me suis bien divertie comme je vous en avais prévenu.
Savez-vous la devise que je vous donne, celle-ci : qui trop embrasse mal éteint [2]. Il est de fait que vous n’éteignez rien du tout et qu’on a le temps de se consumer et de tomber en cendre avant que vous vous en soyez seulement douté, cela vous fait honneur.
J’ai rêvé de vous toute la nuit, mais ce n’était que rêves. Pour peu que cela continue j’en deviendrai somnambule.
Si jamais la postérité s’informe de ce que vous faisiez avec moi, elle sera diantrement attrapée d’y trouver tant de RIEN DU TOUT. Il est vrai que j’ai la ressource des mémoires historiques du XVIIe siècle, lecture passablement édifiante dans la position particulière où je me trouve, par la quantité de galanteries qu’on y voit consigner tout au long. Cependant je vous dirai, mon cher petit homme, si j’ose M’EXPRIMER ainsi, que les mémoires de Mme de Motteville [3] ne sont pas à beaucoup près aussi bien écrits que tous ceux que je viens de lire. Ça n’en est pas moins intéressant parce que c’est de l’histoire, mais il n’y a plus de ces beaux coups de soleil sur le récit qui éclairent jusqu’à l’esprit obscur qui lit. N’ai-je pas bonne grâce à critiquer et à donner mon avis sur le mérite d’un ouvrage quelconque ?
Ô Toto qu’avez-vous fait de moi ? Il ne me manquait plus que ce dernier ridicule pour m’achever. Maintenant je l’ai, je suis complèteb dans mon genre de stupidité.
Je vous aime toujours et sans interruption. Je vous désire plus que jamais et je vous baise autant en une fois que depuis quatre ans.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 267-268
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette

a) « à fin ».
b) « complette ».


12 mars [1837], dimanche après midi, 1 h. ½

Mon bon petit homme, je ne veux pas avoir d’arriéré avec moi-même ; c’est pourquoi je vous écris si tôt, pour pouvoir écouter La Esmeralda sans remords. Je vous aime mon cher cher amour, je vous aime de toute mon âme. Je ne saurais trop vous le dire, car je ne vous le dis jamais assez selon les besoins de mon cœur.
Je viens de recevoir une lettre triste de Mme Pierceau qui a mal pris ce que je lui disais pour mes haillons. Elle m’annonce qu’elle ne peut venir dîner chez moi par discrétion, mais qu’elle accepte le spectacle à cause de votre ineffable bonté. Je ne me fâche pas du tout de la préférence, mais la pauvre femme a pris trop au sérieux ma plaisanterie. C’est le cas de lui dire : on rit avec vous, tu te fâches.
Quel beau temps mon Toto bien aimé. Malgré tout l’attrait de la Esmeralda je la donnerais bien volontiers pour passer cette journée tout entière avec vous, sur le plus haut de la plus haute montagne.
Mon bon petit Toto, tu ne me laisseras pas toute seule toute la soirée au fond de la loge. J’en aurais trop de chagrin et j’aimerais mieux rester chez moi à t’attendre, car le spectacle, tu le sais, ne m’est pas un amusement sans toi, au contraire. Jour un petit O charmant. Jour, onjour.
Vous ne me dites jamais ça à moi : ma pauvre petite Juju que je suis fâchée de ne pas [t’emmener ?]. Vous voyez bien, vous en êtes témoin, vieille bête. Venez ici que je vous morde le bout de l’oreille et autre chose. Venez tout de suite ou je me fâche pour de bon.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 269-270
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Juliette va voir la reprise de La Esmeralda (1836), opéra de Louise Bertin adapté de Notre-Dame de Paris, sur un livret de Victor Hugo.

[2Jeu de mots avec la devise populaire « qui trop embrasse mal étreint ».

[3Françoise de Motteville (1615-1689) fut, dans sa jeunesse, dame de compagnie du roi Louis XIV. Puis elle devient confidente de la reine Anne d’Autriche. Ses Mémoires pour servir à l’Histoire d’Anne d’Autriche, épouse de Louis XIII, furent publiés en 1723.

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