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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 avril [1837], lundi matin, 10 h. ¾

Bonjour, mon pauvre petit bien-aimé, bonjour. Tu as encore travaillé, toujours donc. J’ai pourtant bien besoin que tu te reposes, je suis plus fatiguée que toi de ce travail sans relâche, encore un peu et je succomberai sous le poids. Voici encore une belle journée mais à quoi servira-t-elle ? À rien probablement car tu te promèneras aux Champs-Élysées tandis que je t’attendrai fixe et immobile sur la même pensée (l’amour) rue Sainte-Anastase no 14 [1]. Et dire que je ne peux pas drogner [2], que je n’ai pas le plus petit prétexte de vous en vouloir, c’est affreux, il y a pour en pleurer de regret, de n’avoir pas le droit de vous dire : vous êtes un ci, un là, un chose et autres. Au contraire il faut que je vous fasse des compliments et mille remerciements, que je vous plaigne au risque de vous encourager à persister dans cette conduite atroce et hors de la nature. Enfin vous n’en êtes pas moins le Toto bien-aimé et le plus adoré. Je voudrais bien vous le prouver autre part que sur du papier blanc et avec une plume noire. Quand vous voudrez je suis à vos ordres, je n’ai pas besoin d’ajouter que le plus tôt sera le mieux et le meilleur. Jour mon petit Loto, je me lève de bonne heure à présent, en attendant que de bonheur vous me fassiez lever tard. Qu’est-ce que vous dites de ce calemboura un peu soignéb, hein ? Voilà comme j’en fais quand la famine, le désespoir et le malheur me montent la tête. Permettez que je vous baise d’intention et de désir ne pouvant pas le faire en réalité sur votre belle bouche rose.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16330, f. 83-84
Transcription de Chantal Brière

a) « calembourg ».
b) « soinnié ».


24 avril [1837], lundi, midi ¾

Je t’aime mon petit homme chéri, je t’aime de toutes mes forces. Voilà un temps qui met du beurre dans le cœur, si je pouvais en jouir avec toi. Hélas !!! Ne te fâche pas si je manifeste le besoin d’être sans cesse avec toi, mon Toto, ce n’est pas ma faute si je t’aime plus que tout au monde. Et puis si je ne te vois pas je saurai que tu travailles, et je ne me plaindrai pas, et je serai bien résignée. Sais-tu qu’il y a plus de huit jours que nous n’avons été l’un à l’autre. C’est très dura quand on s’aime, qu’il fait beau et qu’on est JEUNE. Allons, voilà que j’en reviens encore à mes moutons mais décidément je ne veux plus en parler, c’est assez d’y penser. Je te disais donc qu’il faisait très beau et que j’étais presque sûre qu’il n’y avait plus que deux places dans les diligences. Ah Dieu ! c’est qu’il y a beaucoup de gens qui sont assez bêtes pour aimer courir les grands chemins, pour jouir du soleil qui poudroie et de l’herbe qui verdoie [3]. Nous ne sommes pas de ces gens-là, nous. Ah ben ouiche ! Nous avons bien trop d’esprit pour ça. Quel bonheur de rester chacun enfermé de son côté, dans une belle petite chambre où le soleil n’ose pas entrer de peur de la gâter. C’est bien plus gentil, ma foi, et nous sommes très spirituels et je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16330, f. 85-86
Transcription de Chantal Brière

a) : « dure ».

Notes

[1Adresse de Juliette depuis le 8 mars 1836.

[2Déformation de « grogner ».

[3Allusion au conte de Charles Perrault La Barbe Bleue (1697) : à la jeune épouse de Barbe-Bleue qui attend l’arrivée de ses frères pour la sauver d’une mort imminente, sa sœur Anne, juchée en haut d’une tour, en réponse à la question « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? », dit : « Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie ».

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