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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 avril [1837], mercredi matin, 11 h. ¼

Bonjour mon cher petit homme ! Comment vas-tu ce matin ? Je suis bien tourmentée, je voudrais t’avoir déjà embrassé pour être sûre que tu ne souffres plus. J’ai passé une bien mauvaise nuit, moi, mon dîner s’est fait beaucoup prier pour déloger de mon estomac où il faisait le diable. J’ai fort peu dormi cette nuit et ce matin à 6 heures mes persiennes étaient ouvertes, je ne pouvais plus y tenir. Enfin j’ai pris quelque repos dans la matinée ce qui m’a un peu soulagée. Il ne me reste plus qu’un peu de mal de gorge et de tête. Mon bain n’est pas venu, je soupçonne les baigneurs de la faire exprès, ce qui m’ennuie un peu car j’en ai vraiment besoin. J’ai lu cette nuit et ce matin l’article sur tes ouvrages, j’en ai été d’autant plus ravie que tout ce qu’on dit n’est que la mince vérité et rien de plus ; et que l’homme qui a été entraîné à la dire t’est parfaitement inconnu comme la majeure partie des autres qui pensent et qui écrivent les mêmes choses sur toi. Ça t’est un peu égal à toi mais moi je suis très sensible à cette approbation universelle non pas que j’en ai besoin pour t’aimer de toute mon âme. Car si on me donnait le choix je voudrais que tu ne sois compris que de moi seule. Mais puisqu’il faut que le soleil reluise pour tout le monde, j’aime à te voir admiréa de tous, sûre que je suis que tu ne seras aimé que de moi, de moi Juju qui te chéris, de moi Juliette qui t’adore.

BnF, Mss, NAF, 16330, f. 43-44
Transcription de Chantal Brière

a) « admirer ».


12 avril [1837], mercredi après-midi, 2 h.

Mon bon petit homme bien-aimé, ne sois pas malade, je t’en prie, je t’en prie de tout mon cœur. J’ai hâte de te voir pour te toucher et te caresser partout afina de m’assurer que tu ne souffres plus de nulle part. Je n’ai pas encore allumé mon feu par économie et puis parce qu’il ne faisait pas beaucoup froid ce matin. Je trouve cependant que le temps s’est un peu gâté cet après-midi. J’aurais voulu pouvoir porter les brodequins à Claire et voir chez Mme Lanvin où on en était avec M. Pradier. Si tu viens assez tôt pour cela j’irai. Je ne te parle plus depuis quelques jours du relieur parce que j’espère que tu y penses. Si tu l’as oublié, mon cher petit homme, je te prie d’y penser et de finir le plus vite possible cette bête d’affaire qui s’est beaucoup trop prolongée. En attendant je t’aime comme un pauvre chien fidèle puisque vous ne vous apercevezb plus que je suis encore une femme par la QUEUE (de cheveux). Je suis trop bête pour faire de l’esprit, j’aime mieux vous dire que je vous aime, c’est plus simple. Oui je t’aime, tu peux bien le dire, je t’aime comme jamais tu ne seras plus aimé par aucune femme, je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16330, f. 45-46
Transcription de Chantal Brière

a) « à fin ».
b) « appercevez ».


12 avril [1837], mercredi soir, 8 h.

C’est encore sur vous, mon pauvre petit malade, que l’événement de tout à l’heure va retomber. D’abord comme je n’ai rien à manger il faut bien que je morde dans quelque chose et c’est vous que je prends à belles dents (comme je les ai) pour en extraire une nourriture dont j’ai grand besoin. C’est-à-dire la patience, la douceur, la grâce, la bonté et le calme imperturbable dont vous êtes l’image. Pauvre ange bien-aimé, c’est bien vrai que tu es tout cela, ce qui me fait honte quand je te compare à moi. Mais je t’aime tant pour couvrir tous mes défauts ; je t’aime tant, tant que tu es encore le mieux partagé en ayant le DIABLE comme tu appelles une vilaine femme comme moi. Chère âme, tu ne sais pas comment l’exemple de tant de bonté et de patience [est ? a ?] pris dans mon cœur mais moi je le sais et je sens après une journée comme celle-ci où tu as été si bon et moi si méchante que je t’aime encore plus avec l’amour que j’ai déjà de tout l’intervalle qu’il y a entre nos deux caractères. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre, enfin cela veut dire que je t’aime comme une pauvre femme dont toutes les facultés sont à toi. Je t’aime comme Dieu voudrait être aimé, je t’aime plus que tout au monde, je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16330, f. 47-48
Transcription de Chantal Brière

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