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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er janvier 1842, samedi matin, 11 h.

Sois heureux, mon bien-aimé, sois béni dans tout ce que tu aimes, à présent et toujours, autant que tu es aimé, vénéré, admiré et adoré par moi et tu n’auras rien à désirer au monde.
Je n’ai pas encore ta lettre, mon Toto bien-aimé, mais je suis bien sûre que ce n’est pas ta faute, tu sais trop combien je la désire et que c’est la seule joie que j’aia au monde, après le bonheur de te voir, pour ne me l’avoir pas écrite cette nuit et mise à la poste tout de suite malgré le froid et l’heure. Aussi, je ne t’en veux pas mais je me plains au Bon Dieu de lui-même, car la première femme et le premier cœur qu’il aurait dû exaucer dans ce monde, c’était le mien, si l’amour le plus vrai, le plus dévoué, le plus pur et le plus passionné sont un titre à ses bonnes grâces.
Voilà déjà trois fois que j’envoie chez le portier depuis un moment, toujours rien. Enfin voici qu’on sonne. Si c’était…… Justement ! Merci, mon Dieu, merci ! Et toi, ma joie, ma vie, mon bonheur, béni sois-tu à jamais. Ô mon ange bien-aimé, les beaux vers ! Ô mon Victor sublime, tu as tout deviné et tout consolé par ces vers si doux, si tendres, si nobles et si affectueux. Merci, merci du fond de l’âme et à genoux. Je t’aime. Je voudrais mourir en écrivant ce mot là car après lui, il n’y a plus rien dans ma vie ni dans mon cœur.
Que fais-tu mon bien-aimé ? Es-tu bien baisé et bien caressé par tous ces chers petits goistapioux rapaces ? Pensesb-tu un peu à moi au milieu de toutes ces joies de la famille ? Pensesb-tu à la pauvre âme sur laquelle tous ces baisers tombent comme sur un fer rouge qui les dévore sans en être rafraîchiec ? Je voudrais être tout ce qui t’approche, tout ce que tu aimes, je voudrais être tout pour toi comme tu es tout pour moi, je voudrais être la vie et la joie de ton cœur comme tu es la vie et la joie du mien, mais c’est impossible, il n’y a que les femmes pour aimer comme cela, et dans toutes les femmes, il n’y a que moi pour aimer comme je t’aime. Je ne me vante pas, mon amour. Si tu pouvais voir mon cœur, tu verrais que je suis modeste en comparaison de ce qui s’y passe. Je t’aime, mon grand Victor.
J’ai envoyé Claire à la messe, la voilà revenue, elle a bien prié le bon Dieu pour toi et pour moi. C’est décidément une bonne fille qui fera honneur à tes prophéties et à ton indulgente amitié. Mon Toto bien-aimé, je viens de relire mes chers petits vers avant de finir mon gribouillis et je l’ai baisé en ton lieu et place de toutes mes forces et de toute mon âme [1].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 1-2
Transcription d’Hélène Hôte assistée de Florence Naugrette

a) « aie ».
b) « Pense ».
c) « raffraichie ».


1er janvier 1842, samedi soir, 9 h. ¾

Avant tout, mon cher bien-aimé, que je te dise, j’ai reçu de la part de Mme Krafft une magnifique boîte en laque garnie de ses petits couvercles et de son pot à sucre en verre. Si tu crois convenable que je la renvoie à Mme Krafft au risque de me brouiller à tout jamais avec elle, je le ferai car avant tout, mon adoré, je veux que tu ne doutes pas de moi et que rien ne te contrarie. Ceci dit, je passe à des sentiments plus doux et sans aucun mélange de choses tout à fait étrangères à mon amour. Mon Dieu que je suis heureuse de ta chère petite lettre, mon adoré. Mon Dieu que je t’aime. Mon Dieu que tu es grand. Mon Dieu que je t’aime. Voici les petites Besancenot. Ma foi, elles attendront avec Claire auprès du poêlea de la salle à manger. Elles sont très gentilles mais je ne suis pas femme à me déranger de mon bonheur pour elles. Quand te verrai-je, mon toto chéri ? Ta lettre adorée, loin de calmer le désir de te voir, l’a encore augmentéb. Je voudrais baiser tes pieds et pousser mon affreux rugissement : QUEL BONHEUR !!! J’ai mis la fameuse chemise peignoirc pour vous plaire. Je suis belle dedans à croquer. Vous verrez, ce sont vos SARMES qui font tout ce CHARME. Mais elle n’en va pas moins bien pour ça. Décidément, je suis une grande couturière quoi qu’en dise Mme Pierceau. Jour Toto, jour mon cher petit o, papa est bien i, ia ia monsieur [Rosambeau  ?]. Je voudrais bien savoir si vous allez bientôt m’apporter votre cher petit nez rouge à baiser et à dégeler ? Il fait un froid de loup, j’en sais quelque chose car j’écris ma fenêtre ouverte, ma chambre étant inondée de fumée. C’est en l’honneur des rideaux BLANCS. Dis donc, toto a-t-il crié quand il m’a mordu ? Que je t’y prenne encore scélérat et tu m’en diras des bonnes nouvelles. En attendant, je te donne tout ce que j’ai et moi avec. Baise-moi, toi, et aime-moi. Je te dis que j’ai la plus ravissante petite lettre [illis.]

Juliette

On me remet à l’instant une lettre de Mme Krafft venue par la poste. Tu la verras, je n’y toucherai pas.

BnF, Mss, NAF 16348, f. 3-4
Transcription d’Hélène Hôte assistée de Florence Naugrette

a) « poële ».
b) « augmenter ».
c) « peignoire ». 

Notes

[1À chaque nouvel an, Hugo envoie à Juliette une lettre rituelle. Le 1er janvier, il lui a adressé un poème de trois quatrains, « Janvier est revenu. — Ne crains rien, noble femme !  » qui sera publié dans Dernière Gerbe (I, 12).

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