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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1835 – Lettres datées > Septembre > 26

Aux Metz, samedi matin [26 septembre 1835], 8 h. ¾

Bonjour, mon Toto, bonjour, ma joie. Comment que ça va ? J’espère que tu auras passé une bonne nuit. Je t’ai tant aimé, moi, je n’ai pas dormia presque. Je me suis couchée à 10 h., je me suis réveillée dans des coliques à 2 h. ½ du matin. Depuis ce temps, je ne me suis rendormie qu’au petit jour jusqu’à présent. Tu penses si j’ai employé le temps où je ne dormais pas à t’aimer. Je ne compte pas comme distraction ce mauvais livre [1] que tu m’as apporté et que j’ai lub tout entier sans regret puisqu’à chaque chapitre, il y avait une épigraphe de toi et ton beau petit nom dessous.
Le temps a l’air de s’humaniser aujourd’hui. S’il ne change pas d’ici à midi, je prendrai par la prairie, j’espère que tu auras la même inspiration que moi. Mais mon Dieu que je t’aime ! Je ne peux pas te dire autre chose, je n’ai que cela dans le cœur, dans l’esprit et sur les lèvres : je t’aime ! je t’aime ! je t’aime ! je t’aime ! Je ne pense qu’à toi, je ne désire que toi. Hier après mon dîner, ma lettre écrite et mes comptes faitsc, j’ai lub les têtes du sérail, l’enfant, le voile [2] tout haut. Tu ne peux pas te faire l’idée de l’impression qu’a faite la première de ces admirables orientales. Moi, j’ai relud tout bas ensuite une partie de ce tant beau livre et je me suis couchée dans l’adoration de toi, mon Victor, et dans l’admiration de vous, mon poète.

BnF, Mss, NAF 16324, f. 302-303
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « dormie ».
b) « j’ai lue ».
c) « fais ».
d) « j’ai relue ».


[Feuille d’arbre]

BnF, Mss, NAF 16324, f. 304


Aux Metz, samedi soir [26 septembre 1835], 8 h. ½ [3]

J’étais rentrée bien triste et avec bien de l’amertume dans le cœur. Mais la vue de ta lettre, de ta chère lettre, de ta ravissante lettre a tout effacé, tout adouci. Mon chagrin s’est envolé, ma jalousie s’est éteinte, mon inquiétude s’est calmée. Je n’ai plus de mal, je suis heureuse, je suis confiante, je t’aime et je crois que tu m’aimes.
Non, mon bien-aimé, jamais je n’oublierai la journée du 24 7bre 1835. Non plus à cause de l’orage, mais à cause de l’adorable lettre qui l’a suivie [4]. Toute ma vie, je sentirai l’impression de chacune des gouttes de pluie qui tombaient de tes cheveux sur mon cou, toute ma vie je me rappellerai chacune des lettres, chacune des syllabes, chacun des mots qui composent ta ravissante lettre d’hier au soir. Vois-tu, mon cher Victor, moi je n’ai pas la ressource du beau style, des grands mots pour rendre les impressions de mon cœur et les joies de mon âme. Je t’offre tout cela brut, en nature, comme les denrées coloniales avant que le raffineur et le marchand n’aient cristalliséa et paré leur marchandise. Je t’aime purement et simplement. Le tonnerre, les éclairs, le déluge et la fin du monde ne feront pas que je t’aimerai moins, au contraire.
Je me suis rappelée en chemin que tu avais oublié ton livre. Je ne pouvais malheureusement pas courir après toi. Je suis rentrée à 6 h ¾, j’ai dîné, je t’écris, je lirai, ensuite je me coucherai. Mais, quoi que je fasseb, je penserai à toi et je t’aimerai de toutes les forces de mon âmec.

BnF, Mss, NAF 16324, f. 304 bis-305
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Souchon]

a) « cristalisé ».
b) « fasses ».
c) Paul Souchon transcrit la signature « Juliette » qui n’est pourtant pas présente sur la lettre manuscrite.

Notes

[1Cet ouvrage reste à identifier.

[2Juliette cite ici trois poèmes appartenant au recueil Les Orientales (1829). L’ode « Les têtes du Sérail », en troisième position dans le recueil, fut publiée pour la première fois le 13 juin 1826 dans Le Journal des Débats. « L’enfant », portant la date du 8-10 juin 1828, apparaît en dix-huitième position dans le recueil et « Le voile », composé le 1er septembre 1828, en onzième position.

[3Le 24 septembre 1835, journée où Victor et Juliette se retrouvèrent sous un orage, était un jeudi. Cette lettre a donc probablement été écrite le samedi 26 septembre 1835.

[4Dans cette lettre du 25 septembre Hugo décrit l’orage de la veille : « […] N’oublions jamais cet effroyable orage du 24 septembre 1835 si plein de divines choses pour nous. La pluie tombait à torrents, les feuilles de l’arbre ne servaient qu’à la conduire plus froide sur nos têtes, le ciel était plein de tonnerres, tu étais nue entre mes bras, ton beau visage caché dans mes genoux ne se détournant que pour me sourire, et ta chemise collée par l’eau sur tes belles épaules. Et pendant cette longue tempête d’une heure et demie, pas un mot qui n’ait été un mot d’amour. Tu es ravissante. Je t’aime plus qu’il n’y a de paroles pour le dire. Ma Juliette, quel affreux tumulte hors de nous, en nous quelle délicieuse harmonie ! […] »

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