BnF, Mss, NAF 16323, f. 237-238

Samedi soir, 7 h. ¾

Vous avez été bien bête tantôt, mon grand Toto, et moi bien méchante. Si vous êtes aussi honteux de votre bêtise que je suis repentante de ma méchanceté, tout est pour le mieux, et à l’heure où je vous écris, nous sommes les plus amoureux et les plus heureux gens de la terre. Je vous écris avec une plume hydrophobe^a qui ne veut mordre à rien de ce que je sens et de ce que je veux écrire. J’ai beau la tourner^b et la retourner^c dans tous les sens, je n’en viens pas à bout. J’y renonce, car je ne sais plus par où la prendre. C’est une plume faite au physique^d et au moral à quelqu’un que je sais bien, dont la légèreté et le mauvais^e caractère me sont très connus. Je n’ai pas besoin de vous nommer qui je crois. Eh bien, ça ne m’empêche pas de vous aimer, au contraire « que voulez-vous que j’y fasse, j’aimerai peut-être moins un gros pataud bien lourd, bien bête et bien mouton » [1]. Voilà ce que je suis forcée de me dire à toutes les avances que vous me faites. Oui, je t’aime, oui, fais-moi enrager^f, oui, sois méchant, sois^g injuste, sois taquin, sois jaloux, c’est-à-dire sois stupide, mais laisse-moi t’aimer.
Maintenant, je n’ose te parler de rien, dans la crainte de mettre en mouvement la fameuse machine à jalousie. Cependant, je me risque : je voudrais bien te voir, je voudrais bien voir Angelo, moins tyran que celui qui me gouverne. Attrapé.

Juju

BnF, Mss, NAF 16323, f. 237-238
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « idrophobe ».
b) « tournée ».
c) « retournée ».
d) « phisique ».
e) « mauvait ».
f) « enragée ».
g) « [soiis  ?] ».