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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 janvier [1838], samedi après-midi, 2 h.

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour, mon cher petit Toto. Je suis toujours la même, c’est-à-dire très souffrante et très grognon car le mal de tête me rend folle. Je me suis fait [enfler ?] le front avec le vinaigre et je n’en ai éprouvé aucun soulagement. Je vais essayer du vulnéraire [1] mais j’en espère peu. Cependant je veux aller à HERNANI [2] ce soir. Je m’y ferais plutôt porter que de n’y pas aller. Je suis sûre de ne pas sentir mon mal au moins pendant qu’on le jouera. Pauvre cher adoré, c’est bien vrai que je ne sens plus aucun mal quand j’entends ta douce et admirable poésie. Tu as oublié hier ou tu n’as pas voulu emporter les deux journaux qui te rendaient justice, et moi j’aurais voulu les faire lire par tout le monde tant il y a de bonne fois, d’intelligence et de conviction dans ces deux articles sur les Voix intérieures, articles que les journaux français se sont bien donné de garde de reproduire ni d’imiter [3]. Je suis triste et désespérée de sentir tant de bonnes et belles choses au-dedans de moi, sans pouvoir en émettre une seule qui ne soit tordue, bancale et défigurée. Je sens pourtant bien tous tes admirables chefs-d’œuvrea et je t’aime encore mieux, mais tout cela ne me donne pas d’esprit, au contraire. Je ne m’en chagrinerais pas autant si je ne craignais pas que tôt ou tard cela n’éteigne ton amour qui est plus que mon bonheur, qui est ma vie, mon souffle, mon âme. Tout m’est un sujet de crainte, je crois que tu ne m’aimes plus autant qu’autrefois, et c’est ce qui m’alarmeb dans l’avenir. Je voudrais bien pouvoir me rassurer. Je voudrais bien que de toi-même tu démentisses mes douloureux et cruels soupçons, mais tu es si froid et si préoccupéc que tu ne t’en aperçoisd même pas ; cependant je souffre beaucoup, va. J’ai peine à finir ma lettre, ma tête me tourne et tout mon corps me semble brisé et meurtri. Je ne sais pas comment je m’en tirerai pour aller et pour revenir. Une fois dans ma petite loge je ne crains plus rien, le tout est d’y arriver. Vraiment je souffre horriblement. Enfin, à la grâce de Dieu et du tas de neige. Je vais me lever, je vais me secouer, je vais me forcer à manger, et si tout cela ne me suffit pas, tant pis, je m’en lave les mains et cela ne me regarde plus.
Jour, mon grand Toto, jour, mon grand Victor, jour, mon adoré. C’est ce soir que je vais en entendre de belles sur vous. Sublime, admirable, comme le grand Corneille, un géant, Victor Hugo, grand comme le monde. Bravo ! Bravo !! Bravo !!!!! Tout cela me bassinera le cœur et la tête et fera disparaître tous mes bobos, quitte à les reprendre après la représentation.
Je t’adore, mon Toto. Eux, les hommes, ne font que t’admirer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333, f. 23-24
Transcription de Nathalie Gibert-Joly assistée de Gérard Pouchain

a) « chefs-d’œuvres ».
b) « allarme ».
c) « préocupé ».
d) « apperçois ».

Notes

[1Médicament appliqué sur les plaies.

[2Hernani est repris à la Comédie-Française les 20, 23, 25, 27, 29 et 31 janvier et les 6, 9, 12, 18, 21, 23 février.

[3À élucider.

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