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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 avril, jeudi matin 11h. ¼

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher petit homme adoré, comment vont tes yeux et ta gorge ? Tu paraissais fatigué et souffrant cette nuit, tu avais l’air triste et soucieux, mon pauvre bien-aimé. Je sais que tu as malheureusement trop sujet de l’être avec tout ce qui pèse sur toi, mais que puis-je y faire ? Rien et c’est ce qui me décourage et c’est ce qui me désespère. Dans ces moments-là je regrette d’avoir abandonné le seul état, la seule ressource que j’eusse au monde. Je ne suis bonne à rien pas même à te rendre heureux. Depuis deux ans et demi c’est à peine si tu as l’air de voir que je suis au monde pour t’aimer et pour être aimée de toi. Tout ce que le dévouement le plus noble et le plus généreux peut faire tu le fais, mais ce n’est pas aimer c’est être loyal et bon au delà de toute expression. Je ne me fais pas d’illusion. je t’aime trop d’ailleurs pour n’être pas clairvoyante.
Je sais bien que depuis plus de deux ans tu n’as plus d’amour pour moi quoique tu en aies conservé toutes les apparences dans le langage et dans la manière. Cela prouve que tu es un homme bien élevé, voilà tout. Il y a des scènes violentes qui sont plus éloquentes et plus persuasives pour un cœur qui aime que la froide galanterie dans les mots, il y a des coups de pied dans le ventre qui sont plus passionnés et plus tendres que certains baisers sur le front ou sur les lèvres.
Depuis plus de deux ans j’en fais la triste expérience. Je sais bien que par bonté d’âme tu me diras que je me trompe, mais ce sera tout. Je n’en conserverai pas moins l’atroce certitude que tu ne m’aimes plus ou que tu m’aimes moins, ce qui est la même chose.
Du reste, mon parti est pris. Si bien pris que tu me vois calme et résignée là où j’aurais été violente et exaspérée autrefois. C’est qu’autrefois ce n’était qu’un doute et que maintenant c’est une certitude. Mais je ne voulais pas te parler de tout ça et voilà que j’y suis entraînée, je ne sais comment. Je te demande pardon mon Toto. Ce que j’ai à te dire c’est de ne pas te gêner pour moi. Ne fais pas de voyage puisque cela te contrarie. Je te promets de me tenir en bonne santé et même de ne plus t’en parler jamais. Arrange ta vie comme il te plaira le mieux, c’est trop juste, et je te promets d’accepter sans mot dire tous ces arrangements, quels qu’ils soient.
En attendant, mon cher petit, je serai bien raisonnable et bien muette. Tâche de te soigner, et de te reposer, tu en as bien besoin.
Bonjour Toto. Bonjour, mon cher petit Toto. Si tu sors et que tu ne sois pas trop occupé, tâche de monter jusque chez moi. Je t’attends toujours autant que je te désire et que je t’aime. Je baise tes chers petits pieds.

Juliette

MV-MVH, Villequier, Inv. 1959.9.32
Transcription de Marie-Jean Mazurier
[Massin, Souchon]

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