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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er avril 1843

1er avril 1843, samedi matin, 11 h.

Bonjour, mon cher petit Toto chéri, bonjour, mon amour bien-aimé. Comment vas-tu ce matin ? Comment vont tes yeux ? As-tu pris un peu de repos cette nuit ? Il fait un beau temps de spectacle aujourd’hui si le temps ne change pas d’ici à ce soir. Je voudrais être à la fin de la soirée pour savoir comment se sont comportésa nos ignobles gredins. Je suis de l’avis de Didier, je crois que c’est une excessive mansuétude qui les encourage. Si on en assommait réellement deux ou trois, ils se tiendraient tranquilles. D’ailleurs on ne risquerait pas grand-chose en essayant.
Je voudrais être homme ce soir, je te réponds que je m’acquitterais de mon emploi à trique que veux-tu. Malheureusement je ne suis bonne à rien qu’à ranger et c’est ce que je fais en conscience et le mieux du monde.
Je t’écris avec Cocotte sur mon doigt, ce qui est médiocrement commode mais c’est le moyen de l’empêcher de crier et j’ai si mal à la tête qu’il m’est impossible de supporter ses affreux cris. J’aime mieux l’autre incommodité : du reste elle est très drôle, elle me regarde écrire avec une attention profonde, on dirait qu’elle lit au fur et à mesure que j’écris. Pauvre cocotte tu es bien gentille. Mais j’aime mieux Toto.
Aurai-jeb bientôt l’exemplaire de mon Allemand [1] ? Je ne parle pas de ceux de mesdames Krafft, Pierceau et Lanvin quoique ces trois femmes soient chacune dans leur genre pressée de l’avoir. Il me semble que le nombre de gens à qui tu donnais tes pièces a augmenté car tu n’étais pas aussi à court les autres années ? Du reste, cela n’a rien d’étonnant, la progression des cadeaux suit la progression de la vente et à ce point de vue tu dois en être content. Tu feras bien, en effet, de faire faire ce curieux tableau comparatif de la vente de ton ouvrage année par année depuis quinze ans. Ce sera une fameuse pichenette sur le nez de tes ennemis. Profite de l’aptitude de Duriez [2] pour ce genre de travail. Cela me fera plaisir à moi comme tout ce qui constate ton génie. Je t’aime mon Victor adoré.
Je me suis débarrassée de Cocotte. Je n’en suis pas fâchée parce qu’elle me gênait un peu sans que cela paraisse. Je n’ai plus guère de papier. Tâche de penser à m’en apporter d’autre avant la fin : tous ces temps-ci nous en avons usé énormément sans compter mille autres menus frais qui font somme au bout du mois. Ce ne serait que demi-mal si ces hideux gredins ne venaient pas se vautrer à travers les représentations mais qu’y faire ? Attendre, c’est ce que tu fais avec une patience et une sérénité que je t’envie. Pour moi, qui sens que c’est encore une chance de moins pour notre voyage si désiré, je n’ai pas ton calme et ton courage et je me sens plus disposée à éventrer ces immondes porcs qu’à leur faire litière de tes recettes. Décidément je me range du parti de Didier avec fureur.
Pauvre adoré, en attendant je t’assomme de mes jérémiades. Je ferais bien mieux de me mêler de mes affaires que de m’occuper des tiennes pour lesquelles je ne puis rien.
Suzanne a porté la loge à son nouveau cousin, il paraît qu’il est comblé ainsi que sa femme. Pour les Lanvin, je crois que tu fais bien de diminuer petit à petit le nombre de billets jusqu’à ce que tu les supprimes tout à fait. Pour moi je te prie de ne me rien supprimer du tout. Je veux assister à toutes les représentations, quand même, c’est mon idée, mon plaisir et mon bonheur. Plaisir bien troublé, bonheur un peu mêlé d’amertume. Mais enfin tels qu’ils sont je les veux et je les prends. Ne me les refuse pas. Je baise tes quatre petites pattes blanches. Je t’adore mon Victor.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 1-2
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « comporter ».
b) « aurais-je ».

Notes

[1Son beau-frère Louis Koch, à qui elle veut adresser un exemplaire des Burgraves.

[2Michaud et Duriez avaient mis en vente Les Burgraves le 28 mars.

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