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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1835 > BnF, Mss, NAF 16323, f. 109-110

(Angelo ?)a Samedi, 8 h. du soir

Ce soir plus que jamais, je suis décidée à séparer nos deux causes l’une de l’autre. Ce que tu m’as dit de la vieillesseb de Mlle Mars, de l’impossibilité d’obtenir un double succès avec elle ; succès littéraire et succès d’argent, la nécessité où tu te trouverais d’avoir recours à Mme Dorval [1] ou de toute autre actrice jeune et en crédit auprès du public, toutes ces considérations me font désirer de séparer au plus vite mon avenir du tien, n’importe où je devrais aller, n’importe à quelles conditions d’argent. Car dans cette dernière conversation de ce soir, il m’a été démontré que tu avais eu sur Mlle Mars, sur Mme Dorval, sur le théâtre enfin, des renseignements que tu m’avais tusc jusqu’alors, bien que ces instructions dussent changer de fond en comble les projets arrêtés par toi au sujet de la première pièce que tu devais donner à ce théâtre. Ce silence que tu as gardé à ce sujet contrairement à toutes tes promesses de ne me rien cacher, de tout me dire, m’afflige plus que la trahison de M. Harel et de Mlle George [2], plus que le lâche acharnement de tes ennemis, plus que la perfidie de tes amis intimes contre moi.
Ce silence, c’est l’aveu le plus positif que je nuis à tes intérêts. Tu crains mes prétentions et ma jalousie. Tu avais déjà sentidla nécessité de donner un rôle à Mme Dorval et tu n’avais pas osé me le dire dans la crainte de rencontrer de la résistance ou des larmes à cause de cette nouvelle distribution [3]. Ce que tu voulais éviter ne l’est qu’à moitié. Je n’y mets pas de résistance, bien au contraire. Quant aux larmes, elles ne valent pas la peine d’être essuyées ni retenues.
Dès ce soir, nous cessons toute communauté d’intérêt dramatique.
Je reprends l’attitude première que je n’aurais jamais dû quitter, celle d’une journalière actrice qu’on emploie le plus mal possible et qu’on paie de même. Toi, tu redeviens libre de toute entrave.
Tâchons que cette nouvelle résolution tourne mieux à l’avantage de notre bonheur.

BnF, Mss, NAF 16323, f. 109-110
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud]

a) Note rajoutée sur le manuscrit d’une main différente de celle de Juliette.
b) « viellesse ».
c) « tu ».
d) « sentie ».

Notes

[1Marie Dorval (1798-1849), comédienne respectée et talentueuse, est alors pensionnaire au Théâtre-Français. Elle crée le rôle de Catarina dans Angelo, tyran de Padoue. Mlle Mars et Marie Dorval furent constamment en conflit lors des répétitions de la pièce. Selon Adèle Hugo, dans le Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, tous les torts sont pour Mlle Mars.

[2Juliette revient ici sur les vexations que lui firent subir Harel, Dumas et Mlle George pendant les répétitions de Marie Tudor à l’automne 1833, qui menèrent à sa chute dans le rôle de Jane.

[3Le rôle de la Tisbe était taillé sur mesure pour Juliette. Elle espérait profondément tenir un rôle dans Angelo. Hugo lui préféra Mlle Mars (la Tisbe) et Marie Dorval (Catarina) afin d’assurer un succès à sa pièce.

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