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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 octobre [1843], mercredi matin, 10 h.

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon adoré petit homme, bonjour, bonjour, bonjour, je t’aime. Comment vas-tu ce matin, mon Toto ? Moi je ne vais pas du tout. J’ai la migraine et un peu de courbatures. Cependant je ne suis pas au bout de mes peines car tout est d’une saleté affreuse chez moi et dans un désordre hideux. Tant que ce ne sera pas rangé, je serai malade. À propos, que je te dise cependant que j’y pense, que c’est aujourd’hui la blanchisseuse et que je ne la paierai pas vu l’état de ma caisse. Notre caisse, MAIS QU’EST-CE ? Ce sera pour la prochaine fois. Je m’en fiche parce que mon meuble est ravissant, voilà mon opinion. Je me suis déjà levée pour voir l’effet de ma porte. C’est charmant. Plus je l’ai, plus je le vois, plus je le trouve joli et plus je l’aime. C’est absolument comme de vous. Le seul défaut que je vous trouve, à vous, c’est de n’être pas A DEMEURE chez moi comme lui. Je ne vous vois presque plus et je vous possède encore moins. C’est trop peu. Il va pourtant falloira changerb ce régime de cénobite contre un régime un peu plus nourrissant. Je vous en préviens. Je ne vous prends pas en traître. Sur ce, baisez-moi mon cher, cher adoré, je vous aime trop, voilà ce qui est bien sûr.
Je vais finir d’arranger mon chenil aujourd’hui et prendre un bain ce soir. Voilà l’emploi de ma journée extérieurement parlant. Intérieurement je ne penserai qu’à vous, je vous désirerai, je vous aimerai et je vous adorerai. Si vous êtes bien gentil et bien bon, vous viendrez me voir de très bonne heure et vous resterez très longtemps.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 219-220
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « falloir ».
b) « changé ».


18 octobre [1843], mercredi soir, 9 h. ¼

Je ne veux pas me coucher, mon amour, sans vous avoir dit mon petit bonsoir quotidien. Je suis pourtant bien lasse mais je ne le suis jamais pour cela. Tâchez, mon Toto chéri, de venir pendant que je vous fais ce gribouillis ou au moins aussitôt que je l’aurai fini. Je vous vois si peu, mon pauvre amour, que je suis toujours en quête du pauvre petit moment que vous voudrez bien me donner.
Mon Toto chéri, je suis très en colère contre vous. Vous m’avez annoncé la lettre de Lamartine et vous ne me l’avez pas apportée [1]. Vous m’aviez annoncé les vers de Vacquerie et vous ne me les avez pas montrés. Voilà déjà bien des fois que vous me faites de ces tours-là pour des choses les plus intéressantes pour moi. La première fois que cela vous arrivera, je vous battrai. En attendant j’ai apprêté votre malle et j’ai mis dedans vos livres d’étude et ma peau ; j’aurais voulu y mettre aussi mon âme pour que vous l’ayez toujours sur les pieds pour vous tenir chaud. Je vous donne mes ferrures et s’il le faut même je vous donnerai mes deux serrures. Tout ce qui sort de ma maison pour aller dans le vôtre, c’est autant de joie qui entre dans mon cœur. Ainsi, vous n’avez pas de scrupules à avoir et encore moins de reconnaissance. Prenez toutes mes peaux, toutes mes malles et toutes mes serrures pourvu que vous preniez avec tout mon corps, toute mon âme et tout mon amour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 221-222
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Lamartine avait écrit à Victor Hugo : « Mon cher ami, / J’ai pleuré sur vous et avant vous. J’y pense sans cesse. Le cœur ouvert ne se referme plus. Vous ne pouvez être bien compris que par un père qui a perdu sa fille unique. Mais nous croyons en Dieu, vous et moi, et dans la perpétuité de ses plus belles œuvres. Elles vivent donc et nous les retrouverons plus complètement. Nous croyons et nous aimons plus que les autres parce que nous voyons mieux. / Je n’ai pas voulu vous troubler dans la première heure de votre désespoir. Elle est à Dieu seul/ Que le reste de votre vie soit à ce qui vous aime ici-bas, et comptez sur moi parmi les premiers et parmi les derniers. / Un seul mot de mémoire et de respect à Mme Hugo. / Adieu et attachement. / Lamartine. / Ne répondez pas. » Victor Hugo répondit : « Votre lettre, mon cher Lamartine, m’a profondément ému. J’ai cru sentir le serrement de votre main. Vous êtes grand de toutes les façons, par le cœur comme par le génie. Je vous remercie. Ma femme a pleuré. / J’ai comme vous perdu l’ange de mon avenir. Dieu nous a frappés tous les deux de la même manière. Il vous donne à vous la compensation, toutes les grandeurs d’une magnifique destinée, mais tout cela, hélas ! ne vaut pas un baiser de l’enfant. / Cher et illustre ami, je suis à vous du fond du cœur./ Victor Hugo. »

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