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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 septembre, jeudi soir, [sept ?] h. ½

Il est bien tard, mon cher amour, et tu n’es pas venu encore. J’ai le cœur bien gros et bien triste. Quand te verrai-je mon Dieu et comment te verrai-je ? Pourvu que tu ne sois pas malade.
Voilà un temps suffocant. J’ai peur pour ta pauvre tête. Il faut prendre bien garde à toi. Tu sais combien le sang se porte avec violence à ta pauvre tête, mon pauvre adoré. Il faut prendre quelque précaution. Ne pas rester longtemps enfermé. Il faudrait surtout si c’était possible, mon Dieu, ne pas t’absorber, ne pas t’abîmer comme tu le fais, pauvre père, dans ta douleur et dans ton désespoir [1]. Si tu m’aimes, mon cher adoré, ma vie, mon âme, mon Dieu, mon tout. Il faut prendre sur toi de sortir, de marcher, de venir me voir. Je t’aimerai tant, tant que tu y trouveras peut-être quelque consolation et quelque douceur. Pourquoi ne viens-tu pas ? Qu’est-ce qui t’arrête si tu m’aimes et si tu ne veux pas me désespérer ? Mon Victor bien-aimé, mon adoré, mon Toto, ne me laisse pas te désirer et me tourmenter plus longtemps. Je souffre mon Toto. Si tu sentais mes mains dans ce moment, elles te brûleraient. J’ai la tête toute troublée. Je sais à peine ce que je t’écris. Je sais que je t’aime et que tu es ma vie. Je sais que je souffre et que je meursa loin de toi, voilà tout. Viens donc bien vite mon Toto ravissant me tranquilliserb et me donner des forces et du courage.
J’ai ma fille auprès de moi depuis un moment seulement. J’ai aussi été très tourmentée de ce retard, je la craignais malade. Enfin la voilà cette pauvre enfant. La mère Lanvin avait tardé voilà tout. Je l’embrasse en pensant à toi mon pauvre bien-aimé et à tous tes chers enfants que j’aime comme s’ils étaient de mon sang et de mes entrailles. Je veux que tu les embrasses pour moi et que tu les serres bien fort sur ton cœur en pensant à moi.
Mon Dieu que je voudrais te voir. Je donnerais des années de ma vie sans compter pour te voir tout de suite. Je ne sais pas si c’est pressentiment, mais je n’ai jamais été plus avide de toi qu’à présent. Il me semble toujours que je dois te quitter pour bien longtemps et que je me dépêche de prendre des provisions d’amour que j’amasse pour le temps que nous serons séparés. Pardon, mon Victor, pardon, je ne sais ce que je te dis. Je suis triste et désolée et j’ai le cœur plein de noir et de deuil. Mais je veux vivre pour te servir, pour baiser tes pieds et pour t’adorer. Mon Dieu que je t’aime mon Victor.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 111-112
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « meure ».
b) « tranquiliser ».

Notes

[1Victor Hugo est en deuil de sa fille Léopoldine, morte le 4 septembre, noyée dans la Seine, tandis que Hugo était en voyage avec Juliette.

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