20 juin 1860

Guernesey, 20 juin 1860, mercredi soir, 5 h.

J’ai fini ma douce tâche, mon cher adoré bien-aimé, et je me repose en te donnant mon cœur et en t’écrivant des tendresses à défaut des baisers que je ne peux pas te donner IN NATURALIBUS. Le bon Dieu a eu pitié de votre petite expédition et il vous fait une soirée charmante et pleine de [illis.]. Cependant je persiste à croire qu’il serait imprudent de dîner à ciel ouvert ce soir. Le mieux serait de transporter le pique-nique chez toi dans ta belle salle à manger où tout le monde sera à l’aise et le dîner bien servi. Ce que j’en dis n’est pas aussi désintéressé que cela en a l’air car c’est par crainte de te savoir malade plus tard des suites d’une imprudence faite aujourd’hui. Quand je pense à ce que je souffrais il y a huit jours à la même heure sur la jetée de Jersey j’en ai une horripilation nerveuse qui me secoue tout le corps. Pauvre cher adoré, ma vie, ma joie, mon âme, ménage-toi bien, sois heureux, sois gai, sois content, amuse-toi mais garde-moi ton cœur, ta pensée et ta santé qui sont les seuls biens, les seuls bonheurs et les seules bénédictions que je demande à Dieu. J’étais trop fatigué hier pour t’écrire avant de me coucher mais je me dédommage ce soir en te gribouillant cette grande restitus. Que c’est beau ce que je viens de copier et que je regrette de ne l’avoir pas entendu de ta propre bouche. Ces braves Jersiais sont bien heureux que tu aies daigné leur dire tant de belles et sublimes choses. J’espère qu’ils ne les oublieront jamais et qu’ils les [justifieront  ?] de plus en plus envers toi et pour les idées. Quant à moi je t’adore immuablement.

BnF, Mss, NAF 16381, f. 160-161
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette