12 juin 1860

Guernesey, 12 juin 1860, mardi 5 h. du m[atin]

Bonjour, mon ineffable bien-aimé, bonjour et amour. Quand tu liras ceci je serai probablement loin de toi et bien triste. Je dis probablement car le temps me paraît assez mauvais pour que tu t’opposes à mon embarquement aujourd’hui. Il est vrai que d’ici à tantôt il peut faire très beau. Dans tous les cas ce sera comme il plaira à Dieu et à toi. Quant à moi, pourvu que je sois là le moins longtemps possible séparée de toi, c’est tout ce que je demande. J’ai assez peu et assez mal dormi. Cela devait être car l’émotion de cette petite séparation m’agite plus que de raison, sans compter mes habitudes d’insomnie. Tout cela ne sera rien dès que je te verrai et que je serai sûre que ta traversée aura été heureuse. Il me semble que Harney n’a pas prévu le cas très et trop possible où le temps serait trop mauvais pour risquer la traversée [illis.] mais de toi de ton côté tu dois être prudent et n’aller à Jersey que s’il n’y a aucun danger à le faire. Il faudra que tu me le promettes sérieusement avant de me quitter ou bien je ne pars pas seule aujourd’hui pour t’accompagner demain. En attendant je ne pense pas que la députation se risque ce matin à en juger par le temps ; mais peu importe. L’adresse et [illis.] des adhésions sont les choses principales et suffisent pour te faire un triomphe digne de toi. Mon Victor bien-aimé, je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16381, f. 138
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette

Voyage à Jersey
–
12-20 juin
1860

[Carte de l’hôtel]
Southampton Hotel
Family & Commercial House
5, Pier St Helier
(Adjoining the custom house)
Jersey
Tho^s Purks Proprietor

Hugo … 3
Ch. Asplet … 2
Ph. Asp … 1
Nicolle Duver … 3
Hetz Dech … 2
Harn … 1
Moi … 1
………… 14

Dans le cas où M. Harney manquerait on serait 13 [1] !

Jersey, 12 juin 1860, mardi soir, 10 h.
Chambre n^o 8, Hôtel Southampton

Me voici arrivée, mon cher bien-aimé, je ne saurais te dire où, juste comment car je n’ai rien vu et rien senti pendant et depuis le triste moment où le bateau a quitté l’embarcadère et où mes yeux t’ont perdu de vue derrière le château Cornet, que le désespoir de notre séparation. Quelles que^a soient dans l’avenir les nécessités de déplacement je ne crois pas que je consente une seconde fois à me séparer de toi, ne fût-ce^b qu’une minute. Va, mon pauvre adoré, je t’aime bien sincèrement depuis un bout à l’autre de mon âme et il me serait bien impossible de vivre deux jours loin de toi. J’en fais aujourd’hui la trop douloureuse expérience. J’oublie de te dire que je suis descendue à un autre hôtel que celui que M^me Duverdier m’avait indiqué, Asplet [2] et M^me Nicolle m’ayant conseillé d’en choisir un autre, c’est-à-dire de prendre celui qu’ils pensaient^c être le meilleur pour moi. Je suis donc logée à l’Hôtel Southampton sur le port dans deux petites chambres que je partage avec Suzanne à raison tout compris, nourriture et logement, de 4 shillings 8 pence^d par jour pour moi et de 3 sh[illings] pour Suzanne. Elle a été très malade sur le bateau mais Kesler a été très bon pour elle. Quant à moi, j’avais trop de tristesse pour souffrir d’autre chose. Oh ! que je voudrais être à demain. Je vais me coucher pour être plus tôt levée demain. Bonsoir, mon cher adoré. Dors bien, aime-moi, bénis-moi, je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16381, f. 139-142
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette

a) « quelque ».
b) « fusse ».
c) « il pensait ».
d) « pennys ».