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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 24 février 1853, jeudi matin, 8 h. 

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, je t’aime. Je ne saurais pas vivre sans toi mais il y a une sorte de souffrance que je redoute mille fois plus que la mort. La seule pensée de m’y exposer de nouveau m’épouvante au point que je ne sais pas ce que je ferais le moment venu. Si j’osais, je demanderais au bon Dieu de faire durer notre exil autant que nous-mêmes. Mais je sens que je n’ai pas le droit de demander mon bonheur particulier en sacrifiant l’intérêt général de ta famille et de la France tout entière. Je m’abstiens de rien demander à Dieu dans ce sens-là. Je le supplie de me faire mourir avant que tu ne m’en préfères une autre et puis je continue de t’adorer comme si ton amour ne devait jamais finir.
Enfin, mon pauvre bien-aimé, as-tu pu dormir cette nuit ? Cette surexcitation s’est-elle un peu calmée ? Il serait bien à désirer que ton livre [1] fût fini et que tu pusses te reposer pendant quelquea temps. Depuis ta sortie de France tu n’as pas été un jour sans travailler. Et quel travail ! D’y penser on en est effrayéb et écrasé pour toi en même temps qu’on t’admire et qu’on t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 195-196
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « quelques ».
b) « efrayé ».


Jersey, 24 février 1853, jeudi après-midi, 1 h. 

Je voudrais savoir où tu es, mon petit homme, ce que tu fais, ce que tu dis et surtout ce que tu penses pour mettre mon cœur dans cette direction et le faire marcher de conservea avec le tien. Dans l’impossibilité de rien savoir je fais des suppositions dans le sens qui me plaît le plus. Ainsi tu poses dans les rochers pour ton petit Toto [2], tu penses à moi et tu regrettes que je ne sois pas auprès de toi. Enfin, suprême et très audacieuse supposition, je crois que tu m’aimes et je profite de ce prétexte pour t’adorer. Qu’est-ce qu’il y a de vrai dans tout cela, le diable et vous le savez. Quant à moi je veux me faire illusion le plus longtemps possible. D’ailleurs il n’y a que la foi qui sauve les pauvres Juju de mon espèce des tristes réalités de l’absence, de l’isolement et de la jalousie. C’est encore elle qui me donne le courage de t’attendre sans trop d’impatience et la bonne volonté de te sourire et d’être très aimable. Maintenant, mon cher petit Toto, tu serais bien gentil de venir dès que tu le pourras. Jusque-là, je te baise de confiance et de conviction.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 197-198
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « de conserves ».

Notes

[1Châtiments.

[2La lettre de Juliette laisse supposer que c’est François-Victor qui réalise ce jour-là les portraits au daguerréotype de son père, et non Charles, l’opérateur habituel.

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