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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 juin 1842

12 juin [1842], dimanche matin, 9 h. ½

Bonjour, mon Toto chéri, bonjour mon cher petit bien-aimé. Comment va le petit malade ce matin [1] ? C’est en même temps te demander des nouvelles de ta santé, mon cher adoré, parce qu’elle suit ton inquiétude ou ta sécurité selon qu’elles sont éveillées l’une ou l’autre. Moi, mon Toto adoré, je t’aime. Voilà ma vie, ma santé, mon bonheur, mon tout. J’espérais, parce qu’il faut que j’espère toujours te voir bientôt, que tu viendrais ce matin. Cependant je n’y croyais pas à cause du pauvre petit malade, mais je te préviens que j’ai très besoin que tu viennes avant le QUINZE, veille du jour des barricades. En attendant, je t’attends, et je ne suis pas très contente parce que je te vois si peu que c’est à peine si j’ai le temps d’y goûter. Tout cela n’est pas fait pour me réjouir le cœur, aussi je ne suis rien moins que gaie. J’ai été un peu souffrante cette nuit, je me suis levée à trois heures du matin et je viens d’envoyer chercher ma bouteille de bière dont j’ai déjà bu un grand verre à cause de ma soif excessive et de mon mal d’estomac. Riez si vous voulez, mais c’est comme ça et je vous assure que je ne MANIÈRE [2] pas. Je viens d’envoyer rechercher le MERLAN [3], nous verrons si enfin il viendra cette fois-ci et s’il réussira dans son opération. En attendant, j’en doute et je vous aime comme une pauvre vieille folle que je suis.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16349, f. 133-134
Transcription d’Ophélie Marien assistée de Florence Naugrette


12 juin [1842], dimanche après-midi, 1 h.

J’attends toujours après ce hideux coiffeur, mon Toto chéri. J’en suis furieuse au point de le mettre à la porte s’il vient à présent. Stupide merlan, que le diable te mette dans sa poêle à frire pour l’éternité. Je doublerai le feu pour t’apprendre à te moquer du monde. Avec ça que j’étouffe de chaleur, je ne sais plus où me mettre. Décidément, je n’aime pas la chaleur poussée jusqu’au rôtissage le plus rissolé. C’est bon pour vous, mon cher petit ver à soie, mais pour moi, cela me tue. Je voudrais bien savoir comment va ce pauvre Toto. Il doit aller toujours de mieux en mieux, car voilà un temps qui doit le guérir, et [illis.] je le veux, il n’y a que trop longtemps que ce petit diable se donne des airs de malade. Je veux qu’il reprenne sa bonne santé et son bon appétit, et que nous soyons tous tranquilles et heureux. N’est-ce pas que j’ai raison, mon amour chéri ? Quand donc serai-je sur une grande route avec toi ? Pour n’importe quel pays, ça m’est égal, pourvu que je sois seule et libre avec toi. Mon Dieu, qu’il y a donc longtemps que ça ne m’est arrivé [4]. Il me semble que ce bonheur ne reviendra jamais parce que je le désire trop. Mon Dieu, j’en ai cependant bien besoin. Je t’aime mon Victor.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16349, f. 135-136
Transcription d’Ophélie Marien assistée de Florence Naugrette

Notes

[1François-Victor, fils de Victor Hugo, se remet d’une maladie.

[2Jeu de mots avec le nom de son créancier Manière.

[3Merlan (argot) : coiffeur.

[4En 1841, le voyage annuel de Juliette et Victor avait été empêché par la récente élection de Hugo à l’Académie, son procès contre le librettiste de la Lucrezia Borgia de Donizetti, et la rédaction du Rhin.

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