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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 24 janvier 1853, lundi matin, 9 h.

Bonjour, mon pauvre petit homme, bonjour.
As-tu pu enfin passer une bonne nuit cette fois-ci ? J’ai hâte que ton livre [1] soit fini pour que tu puissesa te reposer un peu car vraiment ta santé finirait par s’altérer si tu ne t’arrêtais pas bientôt. Jusqu’à présent ton admirable organisation a résisté à toutes les fatigues du corps et de l’esprit, mais il est à craindre qu’elle ne se brise à force d’en abuser. Penses-y, mon pauvre adoré, et impose-toi le repos comme les autres s’imposent le travail.
Que tu es bon, mon Victor, d’être venu me prendre hier au soir. Tu ne peux pas te figurer combien cette action si généreuse me pénètre le cœur. Ce que j’éprouve est plus vif que le plaisir, plus doux que le bonheur, plus tendre que la reconnaissance. C’est tout cela à la fois mais divinisé par la pitié pour la peine que tu prends, toi, si grand, toi, martyr de l’esprit de charité, toi, occupé de penser et de guérir l’humanité, de descendre jusqu’à moi, d’interrompre ton repos, tes saintes joies de famille pour me donner quelques minutes de bonheur. Va, je sens tout ce qu’il y a de vraiment divin dans ta bonté et je fais plus que t’en aimer, je t’adore après des sentiments si célestes. Il semble que tous les autres ne méritent pas qu’on s’y arrêteb et, cependant, je le fais pour qu’il soit bien entendu entre nous une fois pour toutesc que ma vie matérielle ne doit jamais peser sur toi comme un fardeau. Le jour où tu en sentiras le poids, je te supplie de me le dire pour que je l’allège d’une façon quelconque. Tout me sera possible et même facile dès qu’il s’agira de ton repos, de ta santé, de ta tranquillité et de ton bonheur. Aussi, mon Victor adoré, aie confiance en moi comme j’ai confiance en toi et ne crains pas que je t’impose jamais d’autre devoir que de m’aimer. De mon côté, mon adoré petit homme, je vous prometsd de ne pas faire de CONNAISSANCES [sans ?] votre permission.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 89-90
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « puisse ».
b) « arrêtent ».
c) « toute ».
d) « promet ».


Jersey, 24 janvier 1853, lundi après-midi

Je suis impatiente de savoir comment Suzanne se sera tirée de cette première épreuve. Je voudrais, pour tout au monde, que son service convînt à ta femme, car, outre une petite économie, que tu n’en es pasa à dédaigner, il y aurait pour elle, en particulier, un grand ennui de moins dans son intérieur. Je lui ai fait toutes les plus grandes recommandations sur sa discrétion et sur son zèle. J’espère qu’elle fera honneur à mes instructions et que nous n’aurons jamais à regretter de nous être fiés à elle. En attendant, mon cher petit bien-aimé, tu serais bien gentil de venir un peu de bonne heure car, outre ton travail qui t’empêche de t’occuper de moi, tu viens si tard que c’est à peine si j’ai le temps de te voir. J’ai un affreux mal de tête aujourd’hui, c’est à peine si j’y vois pour te gribouiller ces quatre lignesb. Je sens que j’aurais besoin de prendre de l’exercice. Celui du soir ne me suffit pas et puis, encore un peu de jour et de soleil ne me nuiraitc peut-être pas, mais pour cela il faudrait que tu eusses un peu de loisir ou que tu pusses m’emmener quand tu travailles, quitte à ne pas desserrer les dents pendant tout ce temps-là.
Je te dis cela sous l’influence de mon horrible migraine mais je sais d’avance, mon pauvre bien-aimé, que cela ne se peut pas. Pardonne-moi de te dire des paroles inutiles et viens le plus tôt que tu pourras. Ta présence est la meilleured hygiène pour moi et ton amour est ma douce panacée.

Juliette.

BnF, Mss, NAF 16373, f. 91-92
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « tu n’en n’es pas »
b) « ligne ».
c) « nuiraient ».
d) « le meilleur »

Notes

[1Le futur recueil poétique des Châtiments. Dans une lettre à Jules Hetzel datée du 9 janvier 1853 Victor Hugo promet « le manuscrit des Vengeresses ou Châtiments (votre avis) avant la fin du mois. » Victor Hugo, Œuvres complètes, Éd. Massin, CFL, 1968, t. VIII/2, p. 1042

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