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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 15 janvier 1853, samedi matin, 9 h.

Bonjour, mon bel ange, mon espoir, mon amour, bonjour. Depuis hier, je ne fais que chanter, de la voix et de l’âme, ton admirable chanson [1] et plus je la chante, je la trouve émouvante et sublime. Je voudrais qu’elle fût déjà dans toutes les bouches et dans tous les cœurs pour populariser encore davantage, si c’est possible, ton patriotisme et ta gloire. Cher adoré bien-aimé, c’est toi qui personnifiesa l’ange divin c’est-à-dire la France car c’est toi qui esb la vérité  ! le châtiment  ! et qui donnera la liberté à cette pauvre humanité que tu abrites si fièrement sous ton aile immense. Chacune de tes sublimes paroles est une clarté qui montre sous leur vrai jour ces monstres couronnés. Tu apparais terrible sous le ciel noir de la révolution et le monde ébloui te répond oui  ! d’un bout de la terre à l’autre, car tu es le symbole vivant de tout ce qui est beau, puissant et généreux. Mon Victor adoré, mon divin bien-aimé, je suis honteuse de te dire si mal ce que je sens si bien et de décomposer ta sublime poésie pour servir de traduction à mon adoration qui dépasse mon pauvre petit esprit autant que tu dépasses tous les autres hommes par le génie. Et puis, tu es si bon et tu sais si bien que je t’aime de tous les amours à la fois que tu ne fais pas attention à mon ignorance et à ma stupidité. J’aurais de l’esprit, d’ailleurs, qu’il ne me servirait pas à grand-chose, parce que mon amour y serait encore trop à l’étroit. J’aime mieux t’aimer à même mon cœur, sans frein et sans limite aucune.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 55-56
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « personnifie ».
b) « est ».


Jersey, 15 janvier 1853, samedi après-midi, 4 h.

Les oreilles doivent te tinter, mon doux adoré, pour peu qu’il y ait dans l’air un courant acoustique qui te porte quelque chose de cette admirable chanson que je n’ai pas cessé de chanter depuis hier et jusque dans mes rêves. Je ne peux pas te dire à quel point cette grande poésie m’électrise et me remue l’âme. Je suis sûre qu’elle sera d’un effet irrésistible sur tous ceux qui l’entendront. Il est bien malheureux que ma voix intérieure ne puisse pas se produire au dehors et se faire entendre à des oreilles humaines car alors ce serait la perfection idéale de cette merveilleuse chanson patriotique.

9 h du soir.

Je recommence cette lettre, mon bien-aimé, et je te demande encore une fois si tu n’entends aucun tintement, si tu ne sens aucune vibration dans ton cœur qui te révèlent la présence de mon âme auprès de toi ? Pour peu que tu écoutes avec quelque attention, tu entendras la douce hymne [2] d’amour que mon cœur redit depuis vingt ans sans se lasser et malgré les cris discordants de la jalousie. Je ne sais pas si je pourrai jamais la faire taire et la rendre muette tout à fait, cette affreuse jalousie, mais je sais que je fais des efforts surhumains pour l’étouffer au risque de tuer un peu de mon cœur en même temps.
Je te souris, mon Victor, car je veux que tu sois gai et heureux ce soir autant que j’ai été violente et méchante tantôt. Je te bénis dans tous ceux que tu aimes car je veux que tu me pardonnes en t’endormant. Je te baise sur toutes les injures que je t’ai dites afin de les purifier et de les changer en adoration et je prie Dieu de fermer la porte de notre noir passé et de nous rouvrir la porte de notre paradis d’amour.

Juliette.

BnF, Mss, NAF 16373, f. 57-58
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

Notes

[1Référence probable au poème Le Sacre (Châtiments, V, I) composé sur l’air de Malbrouck, dont la première version est achevée le 12 janvier 1853.

[2« Hymne » au féminin : chant à la gloire de Dieu.

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