Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1853 > Janvier > 14

Jersey, 14 janvier 1853, vendredi matin, 8 h.

Bonjour, mon grand bien-aimé, bonjour, dans le ciel bleu, bonjour. Le souffle de tes baisers hier au soir a dissipé le reste des nuages noirs qui pesaienta sur mon cœur, et mon âme s’épanouit ce matin aux doux rayons de ton amour.
Pauvre grand adoré, je crains que tu ne sois trop bon prophète dans les choses terribles que tu entrevois dans l’avenir, mais quoi qu’ilb arrive, mon sublime bien-aimé, quels quec soient les épreuves, les luttes et les combats auxquelsd Dieu te réserve, je suis sûre de ne jamais manquer de courage, de dévouement et d’amour pour te suivre, te servir et te défendre dans toutes les circonstances difficiles, délicates et périlleuses où tu te trouveras. Ne m’en aie, du reste, aucune obligation pas plus que tu ne m’en as de respirer, de boire et de manger à l’heure qu’il est. Tout ce que je te demande, tout ce que j’attends de toi, tout ce que je t’impose, mon Victor adoré, c’est de ne pas me tromper sous quelque prétexte que ce soit. Ce devoir, le premier de tous, le plus saint, le plus sacré, je te supplie de l’accomplir envers moi dans toute son acception, dans toute sa rigueur, dans toutes ses conséquences. Tu me le promets, n’est-ce pas mon bien-aimé ? Tu sens bien qu’entre toi et moi il ne peut y avoir aucune trahison, aucune perfidie, aucune lâcheté, puisque, de mon côté, il n’y a aucune exigencee, aucune résistance, aucune menace ? Ton amour incomplet me ferait horreur. Tu n’as pas le droit de me l’imposer à mon insu.
Aussi, mon Victor vénéré, je compte sur ton honneur et sur ta loyauté pour ne pas me tromper et je me confie à toi entièrement.

Juliette.

BnF, Mss, NAF 16373, f. 51-52
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain
[Souchon]

a) « pesait ».
b) « quoiqu’il ».
c) « quelques ».
d) « auquels ».
e) « exigeance »


Jersey, 14 janvier 1853, vendredi soir, 5 h.

Dépêchez-vous de me rapporter mon âme tout de suite, mon cher petit homme, et surtout prenez garde de ne pas la perdre là-haut sur cette montagne où il y a encore plus de femmes éventées que de vent. En attendant je prends des notes et je garde de mémoire, sans jamais les oublier, toutes les douces promesses que tu me fais, toutes les ravissantes espérances que tu me laisses entrevoir. Je ne sais pas si elles se réaliseront jamais, mais c’est déjà un bonheur que de les concevoir. Je regrette, mon pauvre petit bien-aimé, de n’être pas une femme adroite dans toute l’acception du mot car je t’aurais fait une seconde robe de chambre tout de suite ; mais mon habileté en tous genres se borne à t’aimer sous toutes les coutures. Hors ça, je ne suis bonne à rien, je l’avoue à ma honte. Je n’en suis pas seulement humiliée, j’en suis triste surtout quand il s’agit de te rendre service comme aujourd’hui. Malheureusement, pour ces sortes de choses, le courage, le dévouement et l’amour ne peuvent rien et la plus chétive couturière en ferait plus avec son aiguille que moi avec tout mon cœur. C’est stupide mais c’est ainsi. Il faut bien en prendre son parti et être gaie tout de même puisque tu as la bonté de m’aimer comme cela. Et puis nous sommes dans une île. Taisez-vous et ne critiquez pas mes TALENTS. D’ailleurs on n’est pas parfait, Jean Journet [1] lui-même en convient tout apôtre qu’il est. Montrez donc un peu votre savoir-faire, vous qui parlez si bien, je ne serais pas fâchée d’en voir quelque chose à l’aiguille et autrement.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 53-54
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

Notes

[1Jean Journet (1799-1861) : utopiste, surnommé l’apôtre parce qu’il se définissait lui-même comme « apôtre fouriériste ». Il prêcha en France et à l’étranger pour répandre les idées de Charles Fourier, socialiste utopiste, et fréquentait Hugo.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne