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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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6 mai 1842

6 mai [1842], vendredi après-midi, 4 h. ½

Vous n’avez pas voulu emporter un parapluie [1], mon cher petit entêté et vous serez saucé pour peu que vous sortiez. Cela devrait m’être bien égal si ce n’est pas pour venir chez moi, mais je suis assez bête pour ne pas vouloir que vous soyez trempé jusqu’aux os quand vous allez regarder les grisettes tout le long des boulevards. Je vous en veux moins de ne m’avoir pas fait sortir puisqu’il fait mauvais temps, mais si vous étiez bien gentil vous viendriez bien vite auprès de moi et vous ne vous en iriez plus d’ici à huit jours. Mais vous ne mordez pas à la chose de quelque façon qu’on vous la présente aussi je n’ose plus vous rien demander, persuadée d’avance que vous ne m’écouterez pas. Baise-moi, vilain Toto, et ne te fais pas mouillera parce qu’avec ta roséole cette pluie battante ne ferait que médiocrement bien. Je voudrais bien savoir pourquoi vous étiez forcé de rentrer chez vous tantôt ? Vous aviez sans doute quelque rendez-vous intéressant ? Méfiez-vous car je vous guette comme Fouyou guette la queue de Jacquot dans ce moment-ci. C’est encore là un de vos plaisirs féroces de pousser ces deux animaux à s’entredévorer. Qu’est-ce que vous diriez si on vous en faisait autant ? Vous ne seriez pas content et pourtant vous n’auriez que ce que vous méritez. J’essayerai un jour, moi, de vous dévorer et nous verrons laquelle de nos deux queues restera sur le champ de bataille.
En attendant je suis toujours très contente d’être débarrassée de la veuve. J’aime mieux que ce soit la mère Pierceau qui en soit empêtrée que moi. Mon Dieu que je voudrais donc être sûre de faire notre voyage cette année. Cela me tourmente et m’agace et m’attriste au-delà de toute expression, de craindre de rester toute l’année en prison comme celle précédente. Il me serait impossible de me résigner. Je sens que j’ai besoin de ce voyage pour vivre et s’il me manque, ma foi, je tirerai ma révérence à toute la nature. Je ris parce que je n’ose pas pleurer, mais vrai je souffre, mon Toto chéri. Je me tortille en t’écrivant et il me faut tout mon courage pour ne pas crier comme un enfant. Je ne prends pas de bain ce soir parce que je trouve qu’il fait trop froid. Demain si le temps est plus doux et que je ne suis pas mieux, j’en prendrai un à l’eau de [illis.]. Jour Toto, jour mon cher petit o, nonobstant mon affreux bobo, nous nous sommes très bien conduits ce matin. C’est dommage que cela arrive si rarement.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16349, f. 19-20
Transcription de Ophélie Marien assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Victor Hugo déteste les parapluies, dont il trouve l’usage ridicule.

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