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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 mars 1853

Jersey, 28 mars 1853, lundi soir 9 h.

Ce serait bien ingrat à moi, mon cher petit homme, si je finissais cette journée sans une entière RESTITUS après tous les doux moments que j’ai passésa avec toi tantôt. Aussi ne le ferai-je pas quand bien même tous les empêchements du monde voudraient s’y opposer, ce qu’ils ne sont pas assez bêtes de faire pour leur honneur. C’est déjà beaucoup trop que je me prive de te gribouiller à heure fixe à cause des mille petits soins domestiques auxquelsb je ne peux me soustraire sans m’exposer à toutes sortes d’inconvénients et de guenilles qui me feraient ressembler plus vite que je ne voudrais à une guenipec [1] jersiaise. Mais une fois ce danger évité, rien ne saurait m’empêcher de me livrer à ma chère petite habitude qui est devenue ma première et mon unique nature depuis le premier jour oùd je t’ai aimé. Aussi, mon cher petit homme, vous n’échapperez à aucune de mes élucubrations quand bien même vous en tireriez la langue jusqu’à la cheville. Cela vous apprendra d’ailleurs à faire de la popularité domestique et de domestiques...... femelles. Mais vous savez que cette popularité c’est la gloire en grosses et menues giflese dont je vous rémunérerai quand vous voudrez et même quand vous ne voudrez pas. Mettez-vous le dans la boule et méfiez-vous des Juju démagogues dans une île.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 313-314
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « passé ».
b) « auquels ».
c) « guenippe »
d) « ou »
e) « giffles ».


Jersey, 28 mars 1853, lundi soir, 9 h. ½

Les pattes de mouchea sont tirées, mon petit homme, il faut les boire, dussiez-vous faire une effroyable grimace. Quant à moi qui y trouve mon plaisir, j’en ris dans ma peau et je gribouille imperturbablement et sans m’arrêter. Telle est ma grandeur et ma manière de prendre vos mots. Hélas, que ne puis-je prendre de même tous vos MAUX, vous n’auriez jamais de ces vilaines douleurs de cœur qui vous font souffrir depuis quelque temps. Cher adoré, avec quelle joie et quel bonheur je m’empresseraisb de les prendre toutes sur mon compte pour t’épargner une minute de souffrance. Au lieu de cela, j’ai le regret de ne t’être bonne à rien qu’à te tourmenter à tout propos et sur toute chose. Cette manière absurde de remplacer le dévouement impossible par une persécution trop réelle n’est ni bien généreuse ni bien spirituelle et j’éprouve moi-même le besoin d’en changer. Aussi, mon Victor, à partir de ce soir, je veux te laisser toute liberté dans tes relations, dans tes servantes et dans la photographie. En somme la fidélité contrainte est une triste fidélité et je préfère te laisser le choix des AIMÉES que de t’imposer mon amour comme une calamité. Sur ce, bonsoir, mon adoré, tâche de ne pas souffrir de ton cœur et pense à moi, si tu y trouvesc quelque douceur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 315-316
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « mouches ».
b) « empressais ».
c) « trouve ».

Notes

[1Guenipe : « femme malpropre, femme de mauvaise vie », Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, France Loisirs, 1994, p. 926.

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