Guernesey, 1er juillet, [18]70, vendredi matin, 6 h.
Bonjour, mon bien-aimé adoré, bonjour. As-tu bien dormi et chère Petite Jeanne aussi ? J’espère que les vilaines bêtes [1] qui la dévoraient les autres nuits l’ont laissée tranquille cette nuit grâce à tes précautions. Moi aussi j’ai assez bien dormi mais il y a déjà très longtemps que ma nuit est finie. J’ai retourné Suzanne dans le bon sens hier avant de me coucher. Cependant je persiste à croire que tu as eu tort de ne pas mettre Marie tout à fait dehors de chez toi dès la première heure où tu lui as donné congé [2]. Je connais les allures tortueuses et vindicatives de cette fille, je sais quel soutien elle a dans le jésuite baumea chez lequel le plus louche des bénéfices de ta cuisinière va, je sais la faiblesse de caractère de Mariette et ses scrupules niais d’une conscience pas éclairée du tout, et je pressens une volte face stupide de cette pauvre créature en faveur de l’immonde et scélérate femme qui te brave encore effrontément chez toi. Comme toujours, ta trop grande bonté va te créer une complication d’ennuis et de désagréments de tousb genres dont je serai la première mauvaise marchande. Encore si cela ne troublait pas ta vie ! Enfin tu es trop bon, c’est une manière sublime de n’être pas parfait, et je te plains autant que je t’admire. Je baise vos huit chères petites pattes à toi et à Jeanne.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 180
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « beaume ».
b) « tout ».