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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 novembre [1839], samedi matin, 11 h. ½

Bonjour, mon Toto bien-aimé, vous avez oublié votre lettre cette nuit et vous ne vous en êtes même pas aperçua car sans cela vous seriez revenu, je l’espère. Je suis donc doublement triste, car je ne vous ai pas vu et j’ai la certitude que vous n’avez pas pensé à moi. Hélas, c’est bien triste. J’ai envie de pleurer. Je ne suis pas heureuse. Résisieux est à la maison, il paraît que la pauvre petite est venue tous les soirs sans se faire entendre et qu’elle est redescendue chez elle toute en pleurs, croyant que Suzanne ne voulait pas lui ouvrir, ce qui ne peut pas être parce que moi je n’ai rien entendu non plus. C’est ce matin qu’on doit venir de chez les Lanvin pour la reconnaissance. J’ai heureusement cinq francs mais aussi après je devrais la dépense d’argent d’aujourd’hui. Je suis très triste, mon Dieu. Je n’oublie tous mes ennuis que lorsque je te vois, ce n’est pas souvent. C’est aujourd’hui l’anniversaire de notre retour à Paris il y a trois semaines. Hélas ! À cette heure-ci, nous étions encore dans l’admirable forêt de Fontainebleau mais je dois avouer que par anticipation je n’étais pas plus gaie qu’à présent. Je t’aime Toto. C’est une bien grande joie ou une bien grande tristesse, c’est plus souvent l’une que l’autre. J’ai peur de devenir folle d’ici à très peu de temps. J’ai toujours mal à la tête et j’ai toujours peur que tu ne m’aimes plus. Le Bon Dieu devrait bien me faire mourir tout de suite. Tâche de venir tout à l’heure, j’ai bien besoin de te voir. Je t’aime, mon Toto. Je t’adore, mon petit homme, c’est bien vrai.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 55-56
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « apperçu ».


16 novembre [1839], samedi soir, 4 h. ¾

Voici l’heure où tu as coutume de venir, surtout quand tu es resté toute une journée sans me voir. Je crois que te voici justement ! Pauvre bien-aimé, voilà ma tristesse convertie en joie jusqu’à ce que ma joie soit reconvertie en tristesse, ce qui ne se fera pas attendre longtemps pour peu que tu tardes à revenir. Je consens à voir tous les amis de la maison, et jusqu’à Monsieur Casimir Bonjour pour peu que je sois avec toi et que cela te fasse venir me trouver une seconde plus tôt. Je t’aime, mon bon petit homme bien-aimé ; je t’aime. J’étais bien triste ce matin et je t’ai écrit bien des bêtises mais je te prie de ne pas les lire et de ne prendre de mes paroles que les bonnes et les vraies, c’est-à-dire celles qui t’adorent et qui t’admirent. Je t’aime. J’ai une fameuse corvée à faire ce soir et ce stupide Manière devrait bien porter ailleurs ses élucubrations politiques. C’est abuser plus qu’il ne convient de sa laideur, de ses infortunes et de notre bonasserie. Enfin, nous avalerons la hideuses pilulea ce soir espérant que ce sera la dernière. À propos j’ai oublié de te dire que j’ai hier fait marché avec le portier pour me frotter mon appartement, ce sera le même prix que mon frotteur et quand ce ne sera pas lui, ce sera sa femme. Comme ces gens n’ont pas d’état il eut été impolitique de nous servir d’un frotteur étranger à leurb nez. Je me suis permisc de faire cet arrangement TOUTE SEULE. Ô TEMERITE ! Ô TEMPORA O MORES. Plus que ça de latin et de courage ? Merci je m’insurge et je fais la figue sur le nez à la vieille toupie académique. Je vous aime, c’est ce qui me donne tout cet aplomb et toute cette instruction.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 57-58
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « pillulle ».
b) « leurs ».
c) « permise ».

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