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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 novembre [1839], lundi midia

Bonjour, mon cher adoré, bonjour, mon bien-aimé. Il est midi à ma pendule qui avance de je ne sais pas de combien d’heuresb mais il y a déjà un peu de temps que je suis levée ; je me suis débarrassée de la toilette de ma fille et la voilà qui étudie son piano. J’ai bien pensé toute la nuit à tout ce que tu m’as dit dans la soirée, mon adoré. Il y a surtout une phrase lumineuse qui brille et qui me brûle l’âme, peut-être n’est-elle sortie de tes lèvres que comme un de ces compliments qu’on est entraîné à dire à la femme qui nous aime ? Je ne sais, mais ce qui est sûr, c’est que j’ai converti l’assurance que tu m’as donnéec de n’avoir jamais réellement aimé d’amour que moi en une chose sainte, sacrée et de la plus grande vérité. Moi je t’adore et jamais je n’avais jusqu’à toi éprouvé même le semblant de l’amour. Je t’aime, je t’adore, et je t’aimerai et je t’adorerai toujours, car mon corps, mon cœur, ma vie et mon âme sont faits de mon amour. Crois-le bien, mon adoré, car c’est la vraie vérité du Bon Dieu. Quant aux craintes que tu as en me voyant rentrer dans la carrière du théâtre, elles se dissiperont par l’honnêteté et la droiture de ma conduite, je l’espère et même j’en suis sûre. Tu n’as rien à craindre de moi où que ce soit et comme que ce soit. Je t’adore et je te vénère. Si je pouvais t’accorder ce que tu désires, renoncer au théâtre, c’est-à-dire à la seule chance d’avenir qui me reste encore, je le ferais sans hésiter et sans que tu m’en pries, sur ton seul désir. Mais, mon adoré, je sens qu’il m’est plus facile de te donner ma vie que de renoncer à payer mes créanciers et à me rendre indépendante, c’est-à-dire à gagner ma vie moi-même. Si par impossible j’y renonçais, je serais sûre que mon désespoir amènerait une catastrophe irréparable et qui pèserait sur toute ta vie. Mon adoré, ne me détourne pas de la seule chose qui peut me tranquilliserd et me faire croire à ton amour. Aide-moi et ne me quitte que si je t’en donne le sujet, c’est-à-dire passe ta vie à m’aimer en échange d’une admiration et d’une adoration sans borne. Donne-moi tes deux petites mains que je les baise et apporte-moi bien vite tes deux petits bijoux de pieds car j’ai une très jolie petite paire de bauttes à leur donner et qui est arrivée ce matin pendant que je dormais encore. Baise-moi, mon petit homme. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 11-12
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) Deux croix sont inscrites entre la date et le corps de la lettre.
b) « d’heure ».
c) « tu m’a donné ».
d) « tranquiliser ».


4 novembre [1839], lundi soir, 5 h. ¼

Où es-tu, chère âme ? Où êtes-vous, mon pauvre amour, pour que mes baisers et ma vie aillent vous retrouver. J’ai chez moi deux petites filles : Résisieux et sa cousine Marie qui jouent et qui chantent à qui mieux mieux et Claire qui leur sert de mère. Justement voici qu’on vient les chercher. Que ne puis-je en faire autant avec vous, vous ne seriez pas si souvent et si longtemps loin de moi. J’espère, mon adoré, que tu n’iras pas ce soir au Théâtre-Français sans moi. Je ne consens à me priver de Marion que dans l’espoir que tu n’iras pas la voir de ton côté. Je vous aime et je suis jalouse.
Pourquoi avez-vous été paresseux, mon Toto, et n’avez-vous pas voulu mettre vos bottes ? C’est très vilain et très méchant car vos pauvres petits pieds sont en buttea à toutes sortes d’avaries dont la moindre est de boire l’eau du ruisseau. Ce soir, je vous forcerai à les mettre et à vous baigner les yeux car vous n’en avez pas soin du tout. Je suis bien malheureuse d’être forcée de vous confier, mon pauvre Toto, mon trésor, mon adoré car vous n’en avez guère soin. Baisez-moi. Aimez-moi. Pensez à moi et ne soyez pas une éternité sans venir. Je vous attends avec impatience et amour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 13-14
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « buttes ».

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