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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er novembre 1839

1er novembre [1839], vendredi matin, 10 h.a

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour, mon petit homme chéri. Vous m’avez tant dit hier que j’écrivais horriblement mal et que tout mon gribouillage n’était qu’une horrible broussaille dans laquelle vous [laissiez  ?] votre patience et votre amour que je n’ose pas ce matin vous écrire et que pour un rien je supprimerais la correspondance. Il faudra pourtant nous entendre à ce sujet car rien n’est plus cruel que de me forcer à me ridiculiser moi-même tous les matins et tous les soirs sous prétexte que je vous aime et que je suis la plus triste et la plus seule des femmes. S’il faut que mon amour se noie dans mon ignorance et dans ma stupidité, au moins ne me forcez pas à l’y plonger moi-même. Autrefois vous ne vous seriez pas aperçub de la difformité de mon écriture, vous n’auriez vu que ce qu’elle voulait dire et vous auriez été heureux et reconnaissant. Maintenant vous en riez, ce qui est une impiété et une mauvaise action. Il paraît que c’est le sort de tous les Quasimodo de ce monde moraux et physiques : on s’en moque car la forme est tout et l’âme rien. Et j’aurais beau faire dire à mes jambages bossus et contournés : dans mon âme je suis beau, vous n’en ririez pas moins donc, mon cher petit homme, en attendant que je puisse rire moi-même de moi. Je crois que nous ferions bien de supprimer ces gribouillis quotidiens. Aussi bien voici le moment où il faut que je consacre tout mon temps et tous mes efforts à me faire un état. Rien dans le monde ne peut me détourner de ce but car pour moi c’est une question de vie ou de mort et Dieu sait que depuis sept ans bientôt je n’ai pas omis de vous le dire chaque fois que l’occasion s’en est présentée. Je compte sur vous pour cela, mon adoré. C’est plus que la vie que je vous demande, c’est la [célébration  ?] morale de notre mariage d’amour que je puisse vous suivre partout où mon amour est menacé, que je sois votre femme par l’esprit et par le cœur puisque je ne peux pas l’être par la loi. Si je m’explique mal, ne vous moquez pas et comprenez que je veux avoir le droit de dire ce que vous avez [pensé  ?] et que je veux me mettre entre toutes les femmes qui vous approchentd sous prétexte de vous [illis.]. Moi, je veux avoir mon tour aussi car je vous aime et que je suis [illis.].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 1-2
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) Un « + » et une croix sont inscrits entre la date et le corps de la lettre.
b) « apperçu ».
c) « phisiques ».
d) « approche ».


1er novembre [1839], vendredi soir, 6 h. ½ a

Tu es bien bon, mon pauvre adoré. Et moi, je suis [méchante  ?] mais moi je t’aime et toi tu te laissesb aimer, voilà ce qui te rend si doux et moi si amère. J’ai le cœur plein de jalousie ce soir. Et il ne faudra rien moins que ta présence adorée pour me calmer un peu car j’ai toutes les Furies et tout l’enfer dans l’âme. Je voudrais ne pas quitter la doublure et ton paletot ce soir. Il me semble que je vais courir un grand danger et que je ne peux le conjurer qu’en ne te quittant pas. Si mes craintes sont fondées il [est] probable que [je] n’éviterai pas le malheur qui me menace car tu ne pourras pas être avec moi toute la soirée et les compliments, les encouragements à donner sont là pour t’en empêcher. Toujours est-il que je suis triste et jalouse et que j’aimerais mieux être avec toi à Fontainebleau à l’hôtel de France que dans la loge C du Théâtre-Français même quand on y joue Marion de Lorme [1]. Baisez-moi, mon petit homme, vous être très i en paletot, mais vous ne m’aviez pas dit que vous aviez vu votre tailleur. Moi qui marche sur votre trace, je fais faire venir ma marchande de modes et autres et je ne vous céderai en rien pour la coquetterie et le dandysme. Ah ! Ah ! Qui est-ce qui collé ? C’est Toto ! C’est Toto ! C’est Toto ! Résisieux est dans l’enchantement, Claire est ravie et Suzanne est imbécilec, voilà l’état de la maison. Moi je réunis les trois choses à la fois sans compter l’adoration que je professe hautement pour votre personne impériale et sacrée. Baisez-moi et prenez garde de vous faire tuer ce soir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 3-4
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) Deux croix sont inscrites entre la date et le corps de la lettre.
b) « laisse ».
c) « imbécille ».

Notes

[1Marion de Lorme sera reprise du 22 au 31 décembre à la Comédie-Française.

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