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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 décembre [1836], lundi midi

Vous venez de me quitter, mon beau garçon, sans vous inquiéter le moins du monde de ce que je deviendrai, vous une fois partia. Parce que vous ne savez pas à quel point vous êtes mon tout. Parce que vous ne savez pas que la lumière qui m’éclaire est le rayon de vos yeux. Parce que vous ignorez que l’air respirable pour moi, c’est votre haleine. Parce que vous ne comprenez pas que mon esprit (si j’en ai), mon âme, tout est en vous. Et que vous emportez tout cela avec vous quand vous me quittez. Maintenant pour que la vie revienne à moi, il faut que j’attende votre retour. C’EST BEN AGRÉABLE.
Vous savez que je vais prendre mes renseignements ? Gare à vous. Voici qu’on repasse mon COUTEAU.
Tâchez donc, mon cher SCÉLÉRAT, d’avoir un bonnet d’évêque [1] pour ce soir afin que nous y abritions nos deux têtes, car sans cela je ne vous permets pas assister à aucune place à la représentation de ce soir, vous entendez ?
D’ici là je vais vous aimer comme si vous le méritiez. C’est d’ailleurs la seule occupation que je puisse me permettre quand vous n’y êtes pas, ne me sentant aucune capacité physique ou moraleb pour quoi que ce soit qui n’est pas L’AMOUR.
Bonjour, pensez à moi mais ne m’oubliez pas.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16328, f. 209-210
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette

a) « partie ».
b) « physique ou moral ».


5 décembre [1836], lundi soir, 4 h.

Est-ce que vous auriez eu la hardiesse de faire des visites sans moi [2] ? Pour le coup vous seriez un fameux gredin après ce que je vous ai dit hier soir. Je ne veux pas croire à tant de dépravation avant d’en avoir la certitude. Donc je vous traiterai avec estime et considération jusqu’à plus ample information. Je ferai plus encore, je vous aimerai de toutes mes forces et de toute mon âme, et Dieu sait si j’en ai des unes et de l’autre, vu le peu de consommation que vous en faites.
Je me figure que je vais à l’opéra avec vous ce soir, c’est une illusion dans laquelle je m’entretiens. Mais dans tous les cas souvenez-vous que je ne veux pas que vous y alliez sans moi.
Vous le savez mon ami, les femmes ont des idées… dans la prétention que j’ai d’être une femme j’en ai une D’IDÉE A CET ENDROIT qui n’est pas des plus charmantes. Ça ne m’empêche pas d’être votre Juju et de vous aimer de tout mon cœur, au contraire. Mais seulement ça m’ôte toute sécurité, voilà tout.
Je vous baise plus en désir qu’en action, je vous aime plus en dedans qu’en dehors et je suis à vous corps et âme plus que vous ne voulez de moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16328, f. 211-212
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Bonnet d’évêque : au théâtre, petite loge en hauteur.

[2Il arrive à Juliette Drouet d’accompagner Hugo dans Paris et de l’attendre lorsqu’il va faire des visites aux académiciens dans sa campagne de candidature (il ne sera élu qu’en 1841).

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