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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Juliette Drouet

par Florence Naugrette

Drouet Juliette, Julienne Gauvain, dite (1806-1883) : actrice française, compagne de Victor Hugo, épistolière.

Née à Fougères, Julienne Gauvain perd sa mère et son père, artisans toiliers, respectivement huit et dix-sept mois après sa naissance. Après un séjour en nourrice, Julienne est confiée à sa tante maternelle Françoise, mariée à René-Henry Drouet (patronyme qu’elle adoptera, et agrémentera parfois d’un tréma, signant volontiers « Juliette Droüet »). Ne pouvant subvenir à ses besoins, son oncle et sa tante, séparés, la placent dans un couvent parisien, chez les dames de Sainte-Madeleine, rue Saint-Jacques, entre 1816 et 1821. On ignore quelle vie elle mena exactement pendant les années qui suivirent : elle ne s’en souviendra qu’avec répugnance, évoquant le « ruisseau » où elle était alors tombée. En 1825, elle est la maîtresse du sculpteur James Pradier. Leur fille Claire, née en 1826, est reconnue par son père à l’âge de deux ans.

Juliette Drouet en femme de Smyrne, vers 1827. Huile sur toile de Charles-Emile de Champmartin. © Maison Victor Hugo Paris.

En 1827, Scipion Pinel (fils du célèbre aliéniste) s’endette pour couvrir Juliette Drouet de cadeaux. L’année suivante, poursuivi par la justice, il fuit quelque temps en Allemagne. Elle l’accompagne d’abord, puis le quitte et fait ses débuts d’actrice à Bruxelles, au Théâtre du Parc, en décembre 1828. En juillet 1829, elle joue à Paris, au Théâtre du Vaudeville, puis à la Porte-Saint-Martin et à l’Odéon. Femme splendide, actrice admirée pour sa beauté, plus que pour son talent inégal, elle mène grand train, mais doit faire face à la justice qui la poursuit après qu’elle s’est portée caution des dettes de Scipion Pinel en 1830. Elle fréquente le journaliste Alphonse Karr, qui lui promet le mariage et profite de son argent.

Juliette Drouet en 1832. Lithographie de Léon Noël. © Collection particulière.

Robe de la princesse Negroni portée par Juliette Drouet en 1833. © Maison Victor Hugo.

Lors des répétitions de Lucrèce Borgia à la Porte-Saint-Martin, elle devient la maîtresse de Victor Hugo. Leur première nuit d’amour (du 16 au 17 février 1833) sera par la suite célébrée chaque année dans le livre rouge où Juliette Drouet collectionne l’hommage rituel de Hugo. Il célébrera aussi cette date dans Les Misérables, où elle deviendra le jour du mariage de Marius et Cosette. Les débuts de leur liaison sont orageux et passionnés. En novembre 1833, Juliette Drouet ne joue qu’un soir, celui de la première de Marie Tudor, le rôle de Jane que Hugo a écrit pour elle. Ayant perdu tous ses moyens, elle est aussitôt remplacée. Elle ne se remettra jamais de cet échec, après lequel elle ne jouera pratiquement plus jamais. Engagée comme pensionnaire à la Comédie-Française, elle y reste deux ans sans être jamais distribuée. Son renoncement au métier d’actrice se précise quand, en 1838, lui échappe le rôle de la Reine de Ruy Blas, écrit pour elle, et qu’elle avait appris par cœur. Vivant recluse, attendant chaque jour la visite de son amant, elle souffre de la solitude et de l’inaction que lui impose Hugo.

Buste de Victor Hugo par David d’Angers, 1837. © Maison de Victor Hugo Paris.

Dans la nuit du 17 au 18 novembre 1839, ils célèbrent leur « mariage » symbolique, par lequel elle renonce à sa carrière d’actrice et reçoit l’assurance qu’il ne l’abandonnera jamais. Promesse tenue. Les ennemis de Hugo voient dans cette relation adultère durable une forme scandaleuse de « bigamie ». Une fois élu à l’Académie Française, en 1841, Hugo mène une vie publique et mondaine qui contribue à l’éloigner de Juliette Drouet, à qui la solitude et la réclusion pèsent de plus en plus. Les voyages qu’elle accomplit avec lui sont pour elle des périodes privilégiées et réparatrices. Celui de l’été 1843 se termine tragiquement : à Rochefort, elle voit Hugo apprendre par le journal la mort de Léopoldine. Elle consigne les notes de leur voyage de retour. La même année, Hugo rencontre Léonie Biard ; il noue avec elle une liaison durable qu’il réussit à cacher à Juliette Drouet, malgré les soupçons de cette dernière, alimentés par la coquetterie de Hugo, la « séparation physique » qu’il lui impose au nom de sa santé, et ses nombreuses absences, et malgré le scandale du flagrant délit d’adultère avec Léonie en 1845, dont Juliette Drouet est préservée.

Claire Pradier à 15 ou 16 ans. Croquis de James Pradier, vers 1842. © Collection particulière.

Sa fille Claire, élevée en pension à Saint-Mandé, échoue plusieurs fois à l’examen pour devenir institutrice. Elle meurt en 1846. Pendant la Révolution de 1848, Juliette est inquiète des troubles politiques ; elle s’habitue aux idéaux de la République, tout en redoutant le « spectre rouge ».

En 1851, Hugo ayant refusé de quitter Juliette pour elle, Léonie Biard envoie à sa rivale les lettres d’amour qu’il lui a adressées depuis des années. Juliette est plongée dans un profond désespoir, auquel se mêle l’émerveillement d’avoir été choisie aux dépens d’une femme plus jeune, plus désirable et plus brillante qu’elle. Elle transcende son chagrin dans le dévouement dont elle fait preuve en décembre 1851, trouvant à Hugo diverses cachettes qui lui sauvent la vie. Elle lui fournit l’habit et le passeport d’un de ses amis, l’ouvrier Lanvin, grâce auxquels Hugo passe clandestinement la frontière franco-belge. Elle le rejoint à Bruxelles, puis le suit à Jersey en août 1852, et à Guernesey fin 1855. Contrairement à la femme et aux enfants de Hugo, qui alternent les séjours à ses côtés et des retours en France et en Belgique, Juliette Drouet reste toujours auprès de lui. Elle habite plusieurs logements successifs, à proximité de Hugo. En novembre 1856, elle emménage à La Fallue, d’où elle peut apercevoir Hugo à son balcon, et communiquer avec lui à distance dès le matin. En 1864, ils achètent pour elle Hauteville-Fairy. Sa vie en exil est paradoxalement assez sereine : Hugo est plus disponible pour elle qu’il ne l’était à Paris. Les journées de Juliette sont ponctuées par son ménage, les promenades avec Hugo quand le temps le permet, la préparation de leurs dîners en tête à tête, ou avec François-Victor (des enfants de Hugo celui avec lequel elle a un rapport privilégié), ou avec quelques amis choisis, et sa « copire », comme elle dit, cette activité de copiste, commencée avant l’exil, qui lui tient à cœur, parce qu’elle lui permet de se sentir utile.

Louis Koch, neveu de Juliette Drouet, et sa femme Ottilie Snell, Iéna, 1865. © Collection particulière.

Elle dépouille les journaux, écrit son courrier, notamment à sa famille restée en France : sa sœur Renée-Françoise, son beau-frère Louis Koch, et leur fils Louis, marié à Ottilie Snell depuis 1841 ; ils manifestent régulièrement leur admiration à Hugo, qui leur fait bon accueil. Juliette Drouet se montre farouche avec la population de l’île, voulant préserver sa réputation en évitant le « cant  », le qu’en-dira-ton : elle prend soin de ne pas fréquenter les amis de Mme Hugo, et se tient à l’écart de Hauteville-House. Néanmoins, en décembre 1864, pour le Christmas des enfants pauvres organisé à Hauteville-House, Mme Hugo invite Juliette à se joindre à leur fête. Juliette, digne et discrète, décline l’invitation, mais répond : « La fête, Madame, c’est vous qui me la donnez. […] ». Dans une disposition testamentaire, Mme Hugo recommande à ses fils de ne pas abandonner Mme Drouet.

Double portrait de Juliette Drouet, 1868, Guémar frères, Bruxelles. D’après Arsène Garnier. © Collection particulière.

Après la mort de Mme Hugo, en 1868, Juliette Drouet continue à vivre quelques années de son côté, avant d’emménager à Paris sous le même toit que Hugo à partir de l’été 1873. Elle assure l’intendance, travail d’autant plus prenant que Hugo reçoit souvent de nombreuses tablées, les personnalités politiques et artistiques se pressant chez lui, et devient sa secrétaire particulière, dépouillant son abondant courrier.

Victor Hugo en 1873, par Etienne Carjat. © BnF.

Les années passant, elle finit par se résigner à ce que Hugo ne se puisse guérir de ce qu’elle nomme sa « plaie vive de la femme », non sans chagrins et rébellions, notamment en 1873, lorsqu’elle fuit en Belgique après avoir lu une lettre d’amour adressée à Hugo, à une époque où elle croyait pourtant terminée son aventure avec Blanche Lanvin, fille adoptive de ses amis, entrée à leur service l’année précédente. En 1878, elle découvre horrifiée l’ampleur et la durée de cette relation.

Hugo et ses petits-enfants Georges et Jeanne, photographie d’Arsène Garnier, Guernesey, 1872. © Maison Victor Hugo Paris.

Elle reçoit sa part de bonheur dans la fréquentation joyeuse des petits-enfants de Hugo, Georges et Jeanne, qui la surnomment « Roumé ».

A Veules-en-Caux, chez Paul Meurice (debout à droite), s. d. © Collection particulière.

Elle meurt le 11 mai 1883, d’un cancer de l’estomac qui la faisait beaucoup souffrir depuis des années. Son entourage dissuade Hugo d’assister aux obsèques, qui ont lieu le lendemain. C’est Auguste Vacquerie qui prononce son éloge funèbre.

Juliette Drouet en 1883. Huile sur toile de Jules Bastien-Lepage. © Maison Victor Hugo Paris.

Juliette Drouet a écrit plus de 20000 lettres à Victor Hugo. Ce corpus immense regorge d’indications sur leur vie quotidienne et sur les relations de Hugo avec son entourage. Écrites le plus souvent à sens unique ( passés les premiers temps de la relation, Hugo adresse plutôt à Juliette des hommages rituels pour sa fête, son anniversaire, la commémoration de leur première nuit, le jour de l’an…), ces lettres quotidiennes, voire pluriquotidiennes, s’interrompent pendant les périodes où ils voyagent ensemble. Elles relèvent tout autant du journal personnel que de la correspondance, comme en témoigne le surnom que leur donne Juliette Drouet : chaque jour, sa « restitus » rend compte de son emploi du temps, de son état d’âme et de ses préoccupations, au premier rang desquels se trouvent la santé, son amour, sa reconnaissance, son admiration et sa jalousie, et sa fierté d’être, par le biais de la « copire » que Hugo lui donne à accomplir tant que ses yeux le lui permettent, sa première lectrice.

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