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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 avril 1842

10 avril [1842], dimanche matin, 9 h.

Bonjour mon Toto bien aimé, bonjour mon bon petit homme, comment vas-tu mon chéri et comment vont tous mes petits goistapioux ? Tu n’as pas eu froid cette nuit, mon cher petit bien aimé ? On dit qu’il a gelé à glace. Si tu étais venu dans mon dodo, vous auriez eu bien chaud partout votre cher petit corps, sans parler des bonnes petites caresses qui ne vous auraient pas refroidi non plus, du moins je l’espère, mon bon petit homme chéri. Je vous aime. Je vous demande pardon de vous avoir soupçonné d’une trahison hier après m’avoir donné une marque de bonté et de complaisance dans cette ravissante petite promenade [1]. Je vous en demande mille fois pardon, je suis une vieille soupçonneuse qui vous aime à l’adoration, voilà tout ce que J’AI. Baisez-moi, mon cher amour et ne soyez pas fâché de ce que je vous aime trop. Ma Clairette n’est plus souffrante et j’en suis bien aise à cause de l’inquiétude que je t’ai dit hier. Cette pauvre fillette c’est mon enfant aussi, moins belle et moins douée que ceux si charmants et si intelligents de la Place Royale N°6 [2], mais enfin telle qu’elle est, je l’aime autant qu’eux et je n’y fais pas la moindre différence. Quand donc viendras-tu déjeuner avec moi, quand t’aurai-je à discrétion et à indiscrétion, dis, mon Toto ? Depuis si longtemps que je t’attends et que je le désire, je commence à me décourager, il serait bientôt temps de ME REMONTER MON COURAGE.
Il me semble que vous n’y mettez pas beaucoup d’empressement, mon Toto, déduction faite des empêchements et du travail, car il y a bientôt trois semaines que vous n’êtes venu déjeuner [3] ? Si je me trompe je vous en demande encore pardon mon cher amour et je baise vos quatre petites pattes.

BnF, Mss, NAF 16348, f. 259-260
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette


10 avril [1842], dimanche soir, 11 h.

Je t’écris bien tard, mon cher bien aimé, mais j’avais les comptes de ma servarde [4] à régler pour l’envoyer coucher et tous les préparatifs de nuit à faire. Du reste, mes femmes [5] ne sont parties que fort tard, attendu que je les ai fait dîner à huit heures et demie, il a fallu improviser unea espèce de dîner et la Suzanne n’est pas très forte sur les improvisations comme tu sais. Enfin, tant bien que mal je les ai fait dîner. Je me serais bien passéeb pour aujourd’hui de leur visite, mais on ne peut pas choisir les moments opportuns et c’est bien malheureux, car je t’aurais peut-être encore gardé quelques minutes de plus si elles n’étaient pas arrivées si tôt. Je donnerais tout le monde et toutes les distractions pour une minute passée avec toi. Je t’aime, mon Toto. C’est bien, bien vrai, mon cher petit homme. Quand te verrai-je, mon amour ? Ça devrait être tout de suite si vous aviez un peu au cœur du bon amour impatient qui remplitc le mien. Si j’étais derrière vous, je vous flanquerais des fameux coups de pieds où vous savez bien pour vous faire venir tout de suite : vli vlan, veux-tu bien venir tout de suite, scélérat de Toto. Je t’apprendrai, moi, à me faire attendre. [Dessin]d Je devrais agir comme ça, peut-être seriez-vous plus empressé. J’ai bien envie d’essayer tout de suite. Taisez-vous, vilain homme, vous êtes un bête. Fouyou ne se fait pas prier, lui, pour coucher avec moi, il n’y a pas de danger. Vous devriez rougir d’avoir moins de cœur qu’un chat. Taisez-vous, taisez-vous, je vous dis que vous êtes une bête. Jour Toto. Avec tout ça, tu es mon adoré, voilà ce que tu es.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 261-262
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « un »
b) « passé ».
c) « rempli ».
d) Juliette Drouet qui met un coup de pied à Victor Hugo dos à elle

© Bibliothèque Nationale de France

Notes

[1La veille, Victor Hugo est venu chercher Juliette pour une promenade alors qu’ils n’avaient pas fait de promenade à pieds ensemble depuis près de quatre mois (lettre du 9 avril) et n’étaient pas sortis en voiture depuis le tout début du mois d’avril. Elle le soupçonnait, dans sa lettre précédente, d’une faveur pour compenser une mauvaise nouvelle.

[2De 1832 à 1848, Victor Hugo et toute sa famille louent un appartement au n°6 de la place Royale, aujourd’hui la place des Vosges. Ainsi, les « enfants de la place Royale » sont les enfants de Victor Hugo : Léopoldine, Charles, François-Victor et Adèle Hugo.

[3Les deux amants ont dîné ensemble pour la dernière fois le 12 mars précédent.

[4Suzanne.

[5Il peut s’agir de Mme Franque et Mme Pierceau que Juliette reçoit régulièrement les dimanches soir.

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