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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 décembre [1846], jeudi matin, 10 h.

Bonjour, mon pauvre cher bien-aimé, bonjour, mon amour adoré, bonjour. Comment vas-tu, mon pauvre petit homme ? Tu dois être épuisé de fatigue et de faim. D’y penser, j’ai mal à l’estomac pour toi. J’ai écrit cette nuit jusqu’à minuit ½. Je n’ai éteint ma lampe qu’après 1 h. du matin mais j’ai mal dormi. Tous les bruits que j’entendais, je croyais que c’était toi. C’est toujours ainsi chaque fois que tu ne viens pas me donner un petit bonsoir dans mon lit. J’ai bonne grâce à me plaindre en vérité quand je pense que tu as passé la nuit à travailler probablement sans feu et sans avoir dînéa. Quand je pense à cela, j’ai honte de mon appétit et de ma paresse ; je voudrais me cacher dans un trou. Cependant j’ai bien travaillé hier au soir et je me suis bien appliquée. J’ai fait des prodiges de calligraphie. Si vous n’êtes pas content, c’est que vous ne serez pas juste car c’est de la vraie miniature.
Avec tout cela, nous ne sommes convenus de rien pour l’Académie. Je ne sais pas si vous irez chez votre maître d’école après la séance, et, si vous y allez avec un de vos fils [1], vous ne pourrez pas venir me prendre chez Mlle Féau, ce qui m’arrange médiocrement. J’espère vous voir d’ici à tantôt et savoir de vous sur quoi je dois compter. Cher adoré, je serais bien vexée s’il me fallait renoncer à notre petit rendez-vous d’aujourd’hui. J’espère encore que non. Mais je n’en suis pas assez sûre pour être tout à fait contente. Jour, Toto, jour, mon cher petit o, Juju vous aime comme un chien caniche, mais elle ne vous rapporte pas tout, témoin hier que le père Jourdain est venu lui dire ce que coûteraientb ses deux fauteuils, dont une chaise ; la scélérate de Juju n’a pas voulu vous le dire hier, attendant le moment favorable pour tirer à elle ce gros poisson. Je vous préviens cependant qu’elle est à bout de ficelle et qu’il faudra bien enfin, bon gré mal gré, qu’elle tire à elle ce magnifique poisson qu’elle a mis tant de temps à pêcher. Elle y a mis tous ses soins [dessinc] ainsi que vous le pouvez voir par l’illustration ci-jointe. J’espère que le susdit poisson n’aura pas la lâcheté et l’indélicatesse de se soustraire à son heureux sort en emportant dans son nez l’hameçond [dessine] après avoir dévoré l’appât. Je compte sur sa probité et sur son honneur de grand poisson, et je m’apprête à me goberger d’ici à quinze jours sur deux magnifiques fauteuils, dont une chaise, en veloursf vert. En attendant, je continue de pêcher à la…….. ligne avec une confiance digne de la pêche miraculeuse des temps bibliques. Baisez-moi, mon Toto, et ne me donnez pas à la place de mon goujon votre vieille botte trouée que vous avez répudiée hier. D’abord je ne la prendrai pas, je vous en avertis. Baisez-moi tout de suite et venez encore plus tout de suite.

Juliette.

YULibrary, BL, Victor Hugo Collection GEN Mss 412 (box 2, folder 86)
Transcription de Gérard Pouchain
[Barnett et Pouchain]

a) « diner ».
b) « couterait ».
c) Dessin :

YULibrary, BL, Victor Hugo Collection GEN Mss 412 (box 2, folder 86)


d) « le hameçon ».
e) Dessin :

YULibrary, BL, Victor Hugo Collection GEN Mss 412 (box 2, folder 86)

f) « velour ».

Notes

[1Victor Hugo a l’intention de rendre visite à son ancienne pension Decotte et Cordier, devenue l’institution Gillet-Damitte. S’y est-il rendu ce jour-là, comme le signale Géraud Venzac, ou a-t-il repoussé sa visite à plus tard, comme semble l’indiquer la lettre du 19 décembre ? (Remerciements à Jean-Marc Hovasse).

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