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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 juin 1847

7 juin [1847], lundi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon Victor adoré. Tu ne m’as pas tenu ta promesse. Peut-être ne l’as-tu pas pu. D’empêchement en empêchement c’est à grand peine si je te vois quelques minutes par mois. Malheureusement, la vie n’attend pas le bonheur et il est plus que probable que je m’en irai de ce monde sans avoir eu mon contingent de plaisir et d’amour. Cher petit homme, je suis en proie à des idées tristes ce matin, et cela ne peut guère être autrement, à moins de ne pas t’aimer, mais ce n’est pas une raison cependant pour que je te tourmente et que je t’ennuie.
Comment vas-tu, mon Victor ? Je voudrais savoir si tu as Chambre aujourd’hui pour tâcher de t’aller chercher. Autrement, je me livrerais à corps perdu à mes ouvriers [1] car tout est encore à faire puisque rien n’est fini. Cette remarque judicieuse qu’aurait faitea M de La Palisse [2] n’est pas aussi naïve qu’elle en a l’air au premier aspect. J’ai rendez-vous aujourd’hui avec le menuisier et le peintre et il est plus que probable que pas un ne sera exact, ce qui ne m’humilie pas autrement, mais ce qui M’EMBÊTERA beaucoup. Rien ne m’est plus désagréable que de n’être pas chez moi et à moi, c’est-à-dire à TOI entièrement. Et pourtant, pour l’usage que tu en fais, cela ne vaut pas beaucoup la peine de le regretter. C’est égal, je voudrais être débarrassée d’eux et n’avoir plus qu’à penser à toi et à t’aimer.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1847/34
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) « fait ».


7 juin [1847], lundi après-midi, 2 h.

Est-ce que tu ne sens pas le besoin de me rabibocher un peu, mon Toto ? Est-ce que tu n’auras pas la générosité de me donner une culotte d’été ? Quant à moi, j’en suis réduite à ma plus simple expression et je n’ai plus rien à me mettre sous la dent et ailleurs. Très sérieusement, mon amour bien-aimé, je sens le besoin d’un peu de bonheur et d’amour. Si tu peux m’en donner, tu me rendras un très grand SERVICE.
Jour Toto, jour mon cher petit o. J’ai été bien généreuse moi, il faut bien m’en récompenser.
[Dessina]
Juju donnant une tasse du Japon à son Toto. Rien que le dessin vaudrait son pesant d’or, eh bien, je vous le donne par-dessus le marché.
Avec tout cela, je n’ai pas un endroit où m’abriter. Je suis relancée de pièce en pièce par un tas de goistapioux tous plus sales et plus hideux les uns que les autres. Même dans ce moment-ci, je désire que tu ne viennes pas à cause de tes pauvres beaux yeux adorés [3]. Je n’en dirai pas autant tout à l’heure.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1847/35
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) Dessin représentant la scène décrite par Juliette :

Leeds, BC MS 19c Drouet/1847/35

Notes

[1« Il y a des maçons qui travaillent au rez-de-chaussée du no 12 de la rue Sainte-Anastase. » (Victor Hugo, Journal de ce que j’apprends chaque jour, 5 juin 1847.)

[2Jacques II de Chabanne, dit Jacques de La Palice ou de La Palisse (1470-1525), gentilhomme et valeureux officier français. Or, depuis le XVIIIe siècle, son nom est associé au terme péjoratif de « lapalissade » (évidence ou banalité), à la suite de l’interprétation erronée d’un quatrain écrit en son honneur par ses soldats. L’homme de lettres dijonnais Bernard de La Monnoye notamment, a causé grand tort à sa réputation en le présentant comme un homme simplet et burlesque.

[3Voir l’article de Jean-Marc Hovasse « La vue de Victor Hugo » dans L’Œil de Victor Hugo, actes du colloque 19-21 septembre 2002, Musée d’Orsay/Université Paris 7, Éditions des Cendres/Musée d’Orsay, 2004, p. 3-19. Hugo souffre régulièrement de crises ophtalmiques.

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