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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 16 novembre 1852, mardi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon trop aimé, bonjour, mon adoré petit homme, bonjour. Je vous souris, dormez. J’ai prié hier le propriétaire [1] de m’acheter une lanterne. Il doit savoir où cela se vend mieux que moi quoiqu’il n’ait pas l’air très ferré sur rien. Ce soir, ou au plus tard demain, nous en aurons une, ce qui ne sera pas une raison pour prendre des vessies pour des lanternes et Napoléon-le-Petit pour un grand homme. J’ai lu hier en rentrant les vers que vous m’avez laissés pour copier. J’avoue que je les ai trouvés FAIBLES et pâles auprès des miens [2]. Je sais que dans une île on n’a pas le droit d’être exigeant, aussi je vous passe ceux-ci. Mais n’y revenez pas et méfiez-vous de la pauvre Juju qui vous fera une affreuse concurrence. En attendant, je consens à vous admirer comme si de rien n’était et à proclamer tout haut que vous n’avez rien fait de plus beau, de plus terrible, de plus puissant et de plus sublime que tout ce que j’ai lu hier au soir de vous. Ma conscience se prête très bien à ce genre d’adulation. Je dirai même qu’elle m’y oblige, la scélérate et qu’elle crie à chaque mot, à chaque vers, à chaque strophe : beau et admirable ! Sublime ! Moi je le répète en y ajoutant de mon propre chef : mon Toto, je t’aime, mon Toto je te vénère, mon Toto je t’adore. Maintenant mon cher petit homme, je me permets de vous baiser tout de long comme un simple homme de chair et d’os pendant que vous avez encore la tête sous l’aile.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 167-168
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Jersey, 16 novembre 1852, mardi matin, 11 h.

Il n’est pas probable que tu te décides à faire aucune excursion aujourd’hui, mon bon petit homme, à cause de la très certitude du mauvais temps. Aussi, j’espère te voir de bonne heure. Cette pensée, outre le désir de copier le plus vite possible tes admirables et foudroyants vers, me fait dépêcher de toutes mes forces dans ce que j’ai à faire dans mon petit intérieur de Juju. Je voudrais tâcher que tu n’interrompes pas ma pauvre petite besogne et j’espère y parvenir à force d’activité et d’exactitude.
Mon Victor bien-aimé je t’envoie mon amour tout d’une pièce, n’ayant pas l’habileté de le façonner d’aucune manière. Fais-en ce que tu voudras et pourras de meilleur, à ton goût. Quant à moi, je continue de t’aimer devant moi tout naturellement comme la plante pousse et l’oiseau vole au soleil. Tu es mon soleil. Je t’aime avec toute la sève de mon cœur et mon âme s’en va vers toi à tire d’ailes. Tout cela serait mieux exprimé par un baiser que par le bec de ma plume. Mais je n’ai pas le choix et je me sers tant bien que mal de l’outil que j’ai sous la main en attendant mieux, c’est à dire en vous attendant.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 169-170
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Propriétaire de l’auberge Green Pigeon au premier étage de laquelle Juliette loge dans un petit appartement.

[2Jugement évidemment ironique. Hugo a écrit l’avant-veille « Sacer esto » qui sera inséré dans Châtiments. Les jours antérieurs, il a composé presque quotidiennement un poème pour ce recueil qui paraîtra l’année suivante.

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