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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 23 décembre 1852, jeudi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour à travers la pluie, le brouillard, la fumée et la bisque, bonjour. J’oriente ma pensée de ton côté pour apercevoir un peu de soleil à travers tous ces embêtements plus ou moins humides et nébuleux. Sans mon amour qui rayonne au fond de mon cœur je ne sais pas comment je ferais pour me guider dans cette maussade et ennuyeusea vie. Heureusement tu es là, ma belle étoile fixe, et tout me devient facile, même le journal. Je me vante peut-être mais un peu de fanfaronnade ne messied pas dans une île. D’ailleurs il faut faire bonne mine à mauvais jeu et bonne contenance à stupide journal. Telle est ma maxime, pas de l’Odéon [1]. Tout cela ne m’empêche pas d’espérer que tu recevras de bonnes nouvelles de Paris aujourd’hui. Je suis aux trois quarts sorcière comme tu sais. Aussi j’espère ne pas me tromper dans ma prédiction et ne pas prendre le désir de mon cœur pour la réalité. En attendant je voudrais bien savoir comment va Charlot et quand je te verrai ? Car, quoi queb je fasse ou que je dise, j’en reviens toujours à mon mouton de Toto, déguisé en rhinocéros. S’adresser pour les renseignements sur les mœurs de cet animal au sieur Boustrapa palais des singes à Paris ; les lettres affranchies de stupidité seront rigoureusement acceptées et les coups de trique à domicile reçus avec la plus grande reconnaissance par le bandit Boustrapa, voir aux annonces de l’empire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 301-302
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « ennuieuse ».
b) « quoique ».


Jersey, 23 décembre 1852, jeudi midi

Est-ce que tu penses à moi, mon cher petit homme, est-ce que tu me désiresa, est-ce que tu me regrettes au milieu de ton travail, de ta famille, de la duchesse et du marquis, vos alliés ... par les puces ? Si cela est, je n’ai pas le droit de me plaindre et de trouver la vie fadasse malgré les divers ingrédients qui entrent dedans à l’instar du thé de Mame Gibou [2]. Mais si de ces trois choses vous n’en faites pas même une, oh ! alors j’ai le droit de maudire le genre humain dans tous les genres et d’engueuler la providence sur tous les tons depuis le haut jusqu’au bas ton. Si je ne m’y prends pas d’avance, c’est pour ne pas user mes moyens et mon PHARYNXb qui est en assez mauvais état depuis quelque temps. D’ailleurs vous pensez peut-être à moi, qui sait, le hasardc en est fort capable. Aussi je ne veux rien brusquer, je veux au contraire me dandiner dans ces trois merveilleuses suppositions tant qu’elles voudront bien me bercer : il m’aime, il pense à moi, il me regrette. Maintenant, mon cher petit homme, vous pouvez venir le plus tôt possible, vous êtes sûr de me trouver en bonne disposition de cœur et d’esprit. Mais d’ici là je te souhaite une bonne lettre bien rassurante et bien triomphante de ta chère femme et je t’aime de toutes mes forces et de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 303-304
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « désire ».
b) « pharinx ».
c) « hazard ».

Notes

[1Mlle Maxime, qui avait intenté un procès à Hugo en 1843 parce qu’il lui avait ôté le rôle de Guanhumara dans Les Burgraves, avait fait ses débuts à l’Odéon.

[2Madame Gibou et Mme Pochet ou le thé chez la ravaudeuse  : Pièce de Théophile Marion Dumersan, 1832. Cette farce ou pièce grivoise représentée au théâtre des Variétés en février 1832 avait eu un immense succès. Le clou de la pièce était l’absorption d’un thé fait de vinaigre, huile, poivre, œuf, farine, …de sorte que le « thé de Mme Gibou » était vite devenu une expression proverbiale pour désigner tout salmigondis, culinaire ou non.

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