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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 août 1837

4 août [1837], vendredi matin, 10 h. ¼

Bonjour mon Toto bien aimé. J’ai fait la paresseuse ce matin. J’en ai honte en pensant à toi pauvre adoré qui peut-être a passé toute la nuit à travailler. J’avais marché et puis avant de m’endormir j’ai lu. Après j’ai dormi comme un sabot. Voici le fait. Que je t’aime mon cher bien-aimé, que je t’aime. Je tâche de me rendre digne de toi. Je fais tous mes efforts pour être bonne et patiente. Est-ce que j’y réussis ? Il y a bien longtemps mon cher petit homme que vous ne m’avez battue. Est-ce que vous ne m’aimez plus ? Je veux que vous me battiez, entendez-vous, bien souvent et bien fort [1]. Tant que vous ne le ferez pas je ne me tiendrai pas pour battue et je vous demanderai tous les jours une volée à cor et à cris. Il fait un temps charmant. Quel malheur que ce ne soit pas aujourd’hui que nous partions. Je crains qu’il fasse mauvais plus tard. Au reste, ça m’est à peu près égal quand je suis avec vous. Oui mon Toto, le temps et toutes ses variations ne me fait rien à côté de vous. C’est très bête comme je vous le dis là, mais c’est très spirituel et très charmant en dedans. Jour mon petit o. Jour mon gros to. Apportez-moi votre nouveau portrait [2]. Je ne serai pas fâchée de vous voir un peu avec votre nouveau visage.
Je t’aime mon petit Toto. Je t’adore mon amour. À bientôt n’est-ce pas ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 139-140
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


4 août [1837], vendredi soir, 8 h. ¼

Si vous ne venez pas me chercher ce soir pour marcher un peu, vous serez un méchant, vieux, bête et laid de Toto. Mais si vous venez, vous serez mon très joli, très jeune et très beau Toto. Voilà. Jour mon petit pa. Jour mon gros to. J’avais bien envie tantôt de mettre une des lettres si ravissantes que vous veniez d’écrire dans ma poche au risque d’en frustera pour bien dire l’individu quelconque à qui vous destiniez la délicieuse épître [3]. Mais je me suis souvenue à temps de la maxime des gens PAUVRES MAIS HONNÊTES [4] et je suis restée honnête MAIS PAUVRE. Dites donc, vous, vous me devez aussi une lettre. Non c’est des coups que je veux dire, la plume m’a fourché [5]. Vous me devez des coups, je veux que vous me les payiezb tout de suite. Je ne veux plus vous faire crédit plus longtemps. Tiens on a un homme ou on n’en a pas. Si on en a on doit être rossée. Je ne connais que cela. Battez-moi tout de suite. Vous me faites joliment l’effet d’être déjà à Auteuil [6], vous. Vous êtes si sournois que vous me cachez peut-être encore ça. Au reste vous en êtes le maître et je ne m’en fâche pas. AU CONTRAIRE. Soir pa, soir man. Je t’aime mon cher bijou bien aimé. Je t’aime, pense à… MA TÊTE.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 141-142
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « frusté ».
b) « payez ».

Notes

[1Voir la lettre du 22 juillet 1837. Juliette y écrivait les lignes suivantes : « Si tu dois m’écrire une lettre aussi adorable que celle que je viens de recevoir chaque fois que tu auras été méchant, je te permets de me battre tous les jours plutôt deux fois qu’une ».

[2Il pourrait s’agir d’un portrait auquel Juliette faisait allusion dans sa lettre du 5 juillet 1837 et qui était alors en cours d’exécution.

[3Le destinataire de cette lettre de Victor Hugo à cette date reste inconnu.

[4Juliette utilise le mot « maxime » dans son sens le plus large : il s’agit plutôt d’un lieu commun de la morale sociale et religieuse, et d’une expression largement utilisée dans la littérature. La formule « pauvre mais honnête » est souvent citée dans les lettres de Juliette, sans doute aussi comme réminiscence d’une réplique de théâtre tirée de L’Indigent de Louis-Sébastien Mercier, où Rémi, refusant de laisser corrompre sa fille, répond à De Lys : « Que direz-vous, Monsieur ? Parlez, achevez votre ouvrage ; poignardez le cœur d’un père ; osez le corrompre pour faire une infâme de sa fille. Je suis pauvre, mais honnête ; je n’ai jamais rougi de l’infortune, mais je me sens humilié de l’idée que vous avez conçue ; et de quel droit comptez-vous me rendre votre complice ? » [Remerciements à Chantal Brière et Roxane Martin].

[5Voir la lettre du 22 juillet 1837. Juliette y écrivait les lignes suivantes : « Si tu dois m’écrire une lettre aussi adorable que celle que je viens de recevoir chaque fois que tu auras été méchant, je te permets de me battre tous les jours plutôt deux fois qu’une ».

[6La famille Hugo s’est installée à Auteuil pour l’été. Adèle et les enfants pourront ainsi profiter de la campagne pendant que Victor sera en voyage.

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